Ennemi intérieur : les vieux démons de l’Amérique
De la chasse aux sorcières de Salem à celle des espions bolchéviques ou islamo-gauchistes, l’«ennemi de l’intérieur» fait partie intégrante de l’histoire du pays. Ce mardi à 22h55, Arte diffuse le documentaire «États-Unis, la guerre intérieure».
Nuit tombante, ciel d’orage. Un éclair zèbre l’armée menaçante de nuages qui cerne le 310 Essex Street à Salem, Massachusetts. Elle a de quoi donner le frisson cette grande bâtisse coloniale bardée de bois. À vrai dire, son nom à lui seul suffit à intimider les plus intrépides. «La Maison de la sorcière» («The Witch House»).
Coup de tonnerre. En 1692, le juge Jonathan Corwin l’habite, le juge des sorcières de Salem. Nouveau grondement de tonnerre. Terminé pour la mise en scène, place aux faits. À l’époque, Corwin est chargé d’enquêter sur des suspicions de sorcellerie. Il entend notamment les trois premières accusées. Une véritable hystérie s’empare de la ville. Les délations pleuvent. Au total, 141 suspects sont reconnus coupables de sorcellerie, quatorze femmes et six hommes sont exécutés. L’intervention du gouverneur sera nécessaire pour calmer les choses. «Une explosion de puritanisme», n’hésiteront pas à dire certains, amenés à se prononcer sur les motivations réelles de ce déferlement de violence. «Paradoxe d’une société où la plupart des Américains sont disposés à croire le pire les uns sur les autres», déclare le journaliste David von Drehle dans les colonnes du quotidien Le Monde. Pour souder sa population, cette société a besoin d’ennemis extérieurs, voire intérieurs.
Red Scare
L’histoire des États-Unis est jalonnée de chasses à d’autres sorcières que celles de Salem. L’une des plus célèbres remonte aux années 1950. À l’époque, le sénateur républicain du Wisconsin Joseph McCarthy lance le pays dans une véritable croisade contre toute personne soupçonnée d’avoir des sympathies pour le communisme. Sous prétexte de protéger la sécurité nationale, des milliers d’enquêtes sont menées sur des personnes supposées «agents communistes» infiltrés dans le pouvoir fédéral, membres d’organisations subversives, homosexuelles… De nombreuses personnalités comme Charlie Chaplin (soupçonné d’être un espion au service des communistes) ou Robert Oppenheimer (le «père de la bombe atomique», lui aussi suspecté de travailler pour l’Union soviétique) comptent parmi les victimes de cette inquisition aujourd’hui synonyme d’intolérance.
De JFK à Clinton
L’ennemi intérieur peut donc prendre de multiples visages. Tour à tour, c’est un service de renseignement, «le complexe militaro-industriel», une mafia, la franc-maçonnerie, une confrérie secrète, les extraterrestres. L’assassinat du président Kennedy en 1963 à Dallas continue par exemple à alimenter les théories les plus folles, soixante ans plus tard. Au regard d’événements qui ont suivi (de la guerre du Vietnam jusqu’à l’épidémie de sida…), sa mort est attribuée à telle organisation, groupement ou individu. Lors de la campagne présidentielle de 2017, Donald Trump n’a pas hésité à accuser la candidate démocrate Hillary Clinton d’être à la tête d’un réseau pédophile qui se réunissait dans les sous-sols d’une pizzeria de Washington (Pizzagate).
Trump remet ça
L’ancien président américain semble d’ailleurs bien décidé à faire revenir en scène «l’ennemi intérieur» pour les prochaines présidentielle. L’immigré ? L’élite ? Les médias ? Il y a le choix. Vous en doutez ? «La menace de forces extérieures est bien moins sinistre, dangereuse et grave que le danger de l’intérieur», a-t-il déclaré dans un discours le 11 novembre dernier.
Cet article est paru dans le Télépro du 28/12/2023
Vous avez repéré une erreur ou disposez de plus d’infos? Signalez-le ici