Église et mafia : au nom du Père, du Fils et du Saint-Parrain

Dans le documentaire, Mgr Michele Pennisi, l’ancien archevêque de Monreale (2013-2022), en Sicile, confie avoir été menacé à plusieurs reprises par la mafia © RTBF/Thematics Prod
Alice Kriescher Journaliste

Ce samedi à 20h35 sur La Trois, «Retour aux sources» revient sur la complaisance, allant parfois jusqu’à la complicité, d’une partie de l’Église face à la mafia.

Durant de longues années, l’Église s’est non seulement tue à propos du sang versé par les mafias, mais elle a aussi permis à ces organisations criminelles de prospérer, notamment dans les régions du sud de l’Italie, historiquement très pieuses. Que se cache-t-il derrière cette omerta cléricale ?

Péché originel

«Ceux qui, dans leur vie, ont choisi cette voie du mal, comme les mafieux, ne sont pas en communion avec Dieu, ils sont excommuniés.» Ces mots prononcés par le pape François, le 21 juin 2014, sont probablement les plus durs jamais tenus par l’Église à l’égard des différentes familles mafiosi.

À propos de la mafia, le clergé est, en effet, connu pour être davantage silencieux. Pour comprendre l’origine de ce mutisme, il faut revenir plus d’un siècle en arrière, lors de l’unification italienne. Alors que les différents États pontificaux sont progressivement réduits au Vatican, le clergé italien refuse de se soumettre à ce nouveau pouvoir national. De 1870 à 1904, le pape Pie IX interdit même aux catholiques italiens de voter ou de prendre part à la vie politique.

«Les prêtres et les évêques du sud de l’Italie se tournent alors vers d’autres sources d’autorité, qui partagent leurs principes conservateurs : les mafias émergentes que sont la Camorra à Naples, la Cosa Nostra en Sicile ou la ‘Ndrangheta en Calabre», détaille le journaliste spécialiste de la mafia John Dickie, à France Info. «La complicité de l’Église leur permet d’afficher leur pouvoir au grand jour tout en se drapant dans les habits d’hommes pieux et respectables.»

Liaisons dangereuses

Après la Seconde Guerre mondiale, l’Église et la mafia vont s’unir contre un ennemi commun : le communisme. «L’Église voyait dans le «péril rouge» un danger pour son dogme religieux ; la mafia, une remise en cause de son appât du gain», relate Le Nouvel Observateur. Pour ne pas perdre son précieux allié, le Vatican poursuit donc son vœu de silence face aux actes commis par les pros du crime organisé.

Après la chute des régimes communistes, Jean-Paul II tente, pour la première fois, de briser l’ambiguïté qui règne entre le Vatican et les organisations mafieuses. En juin 1993, dans un discours véhément qui a marqué les mémoires, le souverain pontife appelle les mafieux, représentants de la «culture de la mort», à se repentir.

Ce changement de position de l’Église n’est pas sans conséquences. «Des bombes explosent – sans faire de victimes, devant deux églises romaines, dont la basilique Saint-Jean-de-Latran, fief de l’évêque de Rome, c’est-à-dire le pape», relate France Info. «À Palerme, un prêtre engagé contre le recrutement des jeunes par les mafias, Don Giuseppe Puglisi, est assassiné en pleine rue. Il sera béatifié en 2013, sur demande de Benoît XVI.»

De silence et d’or

Aujourd’hui, si certains prêtres et évêques ont fait des «parrains» leurs ennemis, d’autres régions dépendent toujours financièrement de la mafia. «Certains mafieux se montrent fort disponibles pour aider les églises locales, des paroisses calabraises souvent très pauvres», explique Raffaele Cantone, juge antimafia, au JDD. «Dans les villages, certains curés fréquentent toujours régulièrement les mafieux, leur donnant ainsi une légitimité auprès de la population.»

Quoi qu’il en soit, le pape François semble bien décidé à mettre en application ses paroles de 2014. En mai 2021, à l’occasion de la béatification du juge antimafia Rosario Angelo Livatino, la création d’une commission pour travailler sur l’excommunication des mafias dans leur entièreté a été annoncée.

Cet article est paru dans le Télépro du 27/4/2023

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