Des vacances instagrammables

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Les voyageurs se ruent tous dans les mêmes lieux pour prendre les mêmes photos. La faute à Instagram et aux réseaux sociaux. Ce lundi, dans «Sur le front» (France 5), Hugo Clément pose la question : «Les réseaux sociaux vont-ils tuer le tourisme ?»

Que c’est triste, Venise… quand le chant des gondoliers est couvert par le bruit des valises à roulettes
sur le pavé. Que c’est triste, Venise… quand une bimbo bloque un pont pour faire un selfie avec la bouche en canard. Le pape François lui-même semble avoir été interpellé par cette horde de touristes qui envahissent la lagune. Dimanche 28 avril, lors d’une messe place Saint-Marc, il a mis en garde contre les dangers du surtourisme. Quelques heures plus tôt, il pointait les réseaux sociaux, exhortant les jeunes à lâcher leur téléphone. Les deux problématiques sont liées.

Voir Naples et mourir

Les images ont fait le tour du monde. Cet hiver, des touristes chinois se sont retrouvés dans les canaux de Venise. Leur embarcation a chaviré alors qu’ils se levaient pour prendre un selfie… La scène serait presque drôle si elle n’était représentative d’un véritable phénomène : le surtourisme. Pour expliquer la tendance, il y a d’abord la démocratisation des voyages. Il arrive aujourd’hui qu’un billet d’avion soit à peine plus cher qu’un ticket de bus. Mais si l’on voyage, c’est aussi qu’on y est incité par les réseaux sociaux. Notamment par Instagram. Avez-vous remarqué ? On ne dit plus d’un beau paysage qu’il est photogénique, mais qu’il est instagrammable. Le mot est d’ailleurs entré au Larousse et au Petit Robert 2024. Certes, avant Instagram, il y eut des romans, des films, des magazines et des émissions télé qui incitèrent les gens à voyager. On allait alors voir Capri, passer quelques jours à Naples, découvrir Dublin ou arpenter la mythique Route 66. Aujourd’hui, on ne décide plus d’une destination pour voir ou découvrir… On la choisit parce qu’elle est instagrammable. Selon un sondage de 2020, 54 % des Français choisissent leur lieu de vacances en fonction de son «potentiel photo».

Seul au monde… ou pas !

Le but du touriste 2.0 n’est plus de s’offrir un moment dans un endroit, mais de dire et montrer qu’il y est. Souvent avec le hashtag #seulaumonde… L’envers de la photo parfaite est cependant très différent. Ainsi à Trolltunga, en Norvège, où des centaines de touristes font la file plusieurs heures pour se photographier «seul» sur un rocher dominant un précipice. Cette concentration touristique sur des spots instagrammables n’est pas sans conséquence. Pour les habitants, qui sont envahis – comme à Paris ou Barcelone où des gens sont expulsés de leur logement transformés en B&B. Mais aussi pour l’environnement… Partout, les autorités tentent donc de prendre des mesures. En Bretagne comme en Thaïlande, certaines plages fragiles sont désormais interdites d’accès. À Porquerolles comme à l’île de Pâques, des quotas quotidiens de touristes ont été fixés. À Venise, les visiteurs à la journée sont tenus de s’acquitter d’une taxe de 5 €. Un village suisse a instauré des «frais de selfie» pour dissuader les touristes de s’agglutiner sur un embarcadère avec vue sur le lac de Brienz. L’an dernier, le village autrichien dont s’est inspiré le décor de «La Reine des neiges» a fait construire des palissades pour obstruer son panorama à selfie. Idem il y a quelques semaines dans un village japonais avec vue sur le mont Fuji. Instagram et les réseaux sociaux sont bien en train de tuer le tourisme.

5 francs suisses le selfie

Au petit village suisse d’Iseltwald, le point de vue sur le lac de Brienz a été rendu célèbre par une série coréenne populaire diffusée sur Netflix, «Crash Landing on You». Face au millier de touristes quotidiens qui se rendent sur l’embarcadère pour immortaliser leur visite, un tourniquet a été installé. Pour le franchir, il faut désormais s’acquitter de 5 FS (5,10 €).

Cet article est paru dans le Télépro du 9 mai 2024.

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