Des mafieux chinois à visage découvert…
Arte propose une foisonnante plongée au coeur de quatre des plus grandes triades chinoises au monde, alliées occultes du pouvoir dont l’influence sur la géopolitique et l’économie mondiales n’a cessé de croître au fil du temps.
Rencontre avec Antoine Vitkine, auteur de cette série documentaire, diffusée mardi soir sur Arte. Il explique comment, sans être un spécialiste des triades, il a pu rencontrer certains de leurs membres, dont un «parrain des parrains» taïwanais.
Antoine Vitkine, pourquoi vous être lancé dans une enquête a priori si difficile ?
Malgré leur poids au sein du crime organisé mondial, les triades restent méconnues, du moins en Occident. Je n’éprouve aucune fascination pour les mafias, mais la question du pouvoir, de la violence politique, me passionne. Je vois ces organisations comme une métaphore de la dictature plus encore que de l’ultralibéralisme. C’est d’ailleurs pourquoi elles ont tendance à se lier avec les régimes autoritaires, contre les démocraties qui leur portent de rudes coups. Je n’aurais pas pu faire seul ce long travail. À Taïwan, Hong Kong et Macao, où sont basées les quatre grandes triades au centre du documentaire, des journalistes locaux m’ont aidé à réunir des acteurs directs de cette histoire.
Comment expliquer que des membres d’organisations reconnues comme criminelles aient témoigné sans se cacher ?
En dépit de leurs activités illégales, les triades revendiquent une légitimité à la fois historique et religieuse, héritée d’un vieil ancrage dans le monde chinois. Sun Yat-sen lui-même, premier président de la République en 1912, était membre d’une triade. Cela traduit une porosité peut-être plus grande qu’ailleurs entre ces mafias et la société. L’affiliation au groupe constitue donc un gage de puissance et de réussite, voire de respectabilité. Cela a facilité les rapports. C’est d’ailleurs dans un temple que j’ai rencontré le «Tyran de fer», «parrain des parrains» de ce qui est peutêtre aujourd’hui la triade la plus influente au monde. C’est la première fois qu’il parlait à un journaliste. Le fait que je vienne de France a dû l’intriguer, mais il éprouvait aussi le désir, comme l’ont toutes les mafias, de montrer sa puissance au monde extérieur.
Vous avez voyagé entre Taïwan, Hong Kong et Macao…
À Taïwan, l’appartenance à une triade n’a jamais été interdite, peut-êt re parce que ces sociétés secrètes ont longtemps eu partie liée avec la république anticommuniste. Au contraire de Hong Kong et Macao, les deux territoires rétrocédés en 1997 et 1999 par les anciens colonisateurs britannique et portugais à la République populaire de Chine, où c’est une infraction. Je n’ai donc pu y rencontrer que des subalternes retirés des affaires.
Vous êtes-vous parfois senti menacé ?
Sous pression parfois, menacé jamais. Même si elles travaillent, par exemple, avec les cartels mexicains, les triades n’exercent pas le même degré de violence. Le pacte implicite avec mes interlocuteurs était que leurs propos ne les exposent pas à des poursuites judiciaires. Je leur ai également signifié que je connaissais et prenais au sérieux leur histoire, et ne voulais pas leur faire perdre la face. C’était le meilleur moyen de les approcher, car dans cet univers où la trahison est punie de mort, et où l’extrême hiérarchisation comme l’ancrage religieux scellent la loyauté envers le groupe, les «repentis» sont rarissimes. L’un d’eux, Holger Chen, qui est aussi un personnage public à Taipei, témoigne cependant.
N’avez-vous pas craint de magnifier ces mafias malgré vous ?
J’ai fait très attention de contrebalancer l’aspect spectaculaire ou romanesque des parcours hauts en couleur des protagonistes par la précision de l’information, pour exposer une réalité qui n’a rien de glorieux : une recherche du profit par tous les moyens, qui a fait des triades les supplétives de la dictature depuis près d’un siècle.
Cet entretien, écrit par Irène BERELOWITCH, est paru dans le Télépro du 04/01/2024.
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