Des entremetteurs à Tinder

Des entremetteuses de jadis aux applications de rencontre actuelles, rien n’a vraiment changé... © Getty Images

Sur Arte ce vendredi à 12h25, «Faire l’histoire» s’intéresse au marché des rencontres arrangées. Claire-Lise Gaillard, historienne de l’intime, en retrace l’évolution.

Entre Tinder et «L’Amour est dans le pré», on a souvent un regard moqueur sur les rencontres arrangées. Et pourtant, ça a toujours existé…

Claire-Lise Gaillard, à quand remonte la professionnalisation du secteur ?

Il y a toujours eu des entremetteuses. Mais au XIXe siècle, la profession est officiellement inscrite à L’Almanach du Commerce. Le mariage arrangé devient un véritable marché.

L’argent est donc au cœur du système…

À l’époque, tout mariage est une affaire d’argent. On se marie pour créer une alliance entre familles et entre patrimoines. La femme apporte une dot – c’est-à-dire un stock d’argent. Alors que l’homme, lui, va générer un flux d’argent tout au long du mariage, en travaillant à faire fructifier le patrimoine de son épouse. La mission de l’agent matrimonial est donc de trouver des conjoints aux patrimoines compatibles. C’est la base de l’harmonie conjugale. L’homme et la femme verront ensuite si une affection peut naître entre eux… Pour ce service, l’agent matrimonial se rémunère en prenant 4 à 10 % sur la dot.

Quel est l’intérêt de passer par cet intermédiaire ?

À la fin du XIXe , l’objectif est soit de trouver un meilleur conjoint que dans ses relations directes, soit de résoudre une situation familiale compliquée. Un secret de famille, un enfant naturel, une grossesse en cours… Il y a tellement de contraintes morales sur les femmes qu’elles sont rapidement exclues du marché matrimonial. Après la Première Guerre mondiale, c’est une question d’offre et de demande. Comme une génération d’hommes a disparu avec la guerre, beaucoup de femmes craignent de rester vieille fille. Elles cherchent donc un époux par tous les moyens.

Ce marché de la rencontre va aussi faire la fortune de la presse…

Autrefois, la dernière page des journaux était consacrée aux petites annonces. Les annonces matrimoniales vont y prendre beaucoup de place et attirer nombre de lecteurs. Ce n’est d’ailleurs pas un hasard si, lors de l’apparition d’Internet, les groupes de presse ont été parmi les premiers à investir dans les sites de rencontre. Pour eux, c’était simplement un virage de leur activité.

Se rencontrer par un intermédiaire, c’est moderne ou honteux ?

L’ambiguïté a toujours existé. À toutes les époques, les vendeurs de rencontres ont mis en avant leur côté innovant. Et dans le même temps, les tenants de la morale ont toujours critiqué cette marchandisation de la rencontre. C’était vrai au XIX e siècle, c’est toujours ce qu’on dit aujourd’hui avec les applis. Mais le côté honteux s’estompe. On estime qu’un adulte sur trois a un jour eu recours à un site ou une appli de rencontre. Un processus de normalisation est donc en cours.

Est-ce que les émissions télé, comme «L’Amour est dans le pré» ou «Mariés au premier regard», participent à la même logique ?

Oui et non. Je dirais que la logique de l’audiovisuel prime sur la logique de la rencontre. Souvenez-vous de «Tournez manège» ! Le but premier était de faire le spectacle, de faire rire, pas de créer des couples. Même si ce n’est pas l’objectif qu’affichent ces émissions, elles font toujours rire. Soit parce que les situations sont drôles, soit parce qu’elles créent un malaise. C’est assez déstabilisant de voir mis à nu les critères de sélection d’un couple…

Cet article est paru dans le Télépro du 17/11/2022

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