Des élections américaines à l’accent russe

Vladimir Poutine et Donald Trump lors du sommet du G 20 à Osaka (Japon) en juin 2019. Il y a quarante ans, Trump aurait déjà été approché par le KGB… © Getty Images

Depuis la fin de la guerre froide, les espions russes ont redoublé d’activité aux États-Unis. Jusqu’à influencer le sommet de la plus grande démocratie mondiale. Ce dimanche à 21h05, France 5 diffuse le documentaire «Opération Trump – Les espions russes à la conquête de l’Amérique».

Depuis les élections présidentielles de 2016, il n’y a plus le moindre doute. La Russie s’est invitée au plus haut niveau du pouvoir américain. Taupes, espions, lobbyistes… constituent une armée infiltrée sur le sol des États-Unis. Connus de tous ou cachés depuis des années sous le couvert de fausses identités, ils travaillent au service du Kremlin par idéologie, fascination ou appât du gain. À la veille du scrutin du 5 novembre, l’ombre de Moscou plane à nouveau au-dessus de la Maison Blanche.

«The Americans»

Un exemple éclairant pour commencer. Le 10 novembre 2010 est une journée spéciale pour Tracey et son mari Donald : leur fils aîné Tim a 20 ans. Petit resto indien en entrée puis Tim et son frère Alex auront quartier libre pour la soirée. La famille rentre à la maison, à Cambridge, près de Boston. Champagne, puis les garçons montent se préparer à l’étage. Ils n’imaginent pas une seconde ce qui va suivre. Du brouhaha dans le hall d’entrée, des cris dans les escaliers, des hommes en armes. Les mains levées, les deux frères voient leurs parents menottés puis embarqués séparément dans des véhicules noirs. Tracy et Donald Heathfield-Foley s’appellent en réalité Elena Vavilova et Andrei Bezrukov. Ils ont été repérés pendant leurs études en Sibérie par le KGB, les services de renseignements soviétiques. Après une formation comme espions, ils ont été envoyés au Canada sous les noms de deux enfants morts en bas âge. Peu après la naissance de leurs fils, ils se sont installés aux États-Unis.

Les «taupes»

Pendant vingt ans, ils vivent comme une famille américaine tout ce qu’il y a de plus normale. Elle est agent immobilier, lui est actif dans des sociétés de conseils aux entreprises. Mais surtout, tous deux travaillent pour les services secrets étrangers russes. Ils sont ce qu’on appelle des «taupes». Ils ne sont pas les seuls dans ce cas.

La «poutinosphère»

«Déguisés en diplomates, professeurs, journalistes ou étudiants, ils tissent des réseaux, recrutent des agents et montent des opérations spéciales que les Russes appellent des « mesures actives’’». C’est ainsi que l’historienne française Laurence Saint-Gilles décrit ces taupes et les officiers du renseignement russes dans le magazine Desk Russie, spécialiste des informations et analyses sur la Russie et les pays issus de l’ex-URSS. Pour se fondre dans la masse, ils sont installés depuis de nombreuses années aux États-Unis, disposent parfois de la nationalité. Leur mission : tisser des réseaux, recruter des agents, faire avancer les objectifs de la politique étrangère russe et influencer les événements dans les pays étrangers. Régulièrement, la presse se fait l’écho d’arrestations de ces espions. Parmi les plus médiatisés : le couple Bezrukov-Vavilova (qui a eu droit à sa série télé baptisée «The Americans»), Anna Chapman (alias «la nouvelle Mata Hari») ou l’agent dormant Jack Barsky. La «poutinosphère» est bien plus large que ce cercle restreint.

Fans de Poutine

Elle se compose aussi de citoyens américains, des agents. Ils acceptent de livrer des informations secrètes contre rémunération. Laurence Saint-Gilles répertorie aussi ceux qu’elle nomme «les agents d’influence». Dans leur cas, pas question de rétribution. Ils agissent souvent par sympathie idéologique. À moins que cela ne soit par vénération du personnage Poutine. C’est notamment le cas de certains journalistes. Feu Larry King (1933-2021), rendu célèbre par ses interviews (et ses bretelles) sur CNN, est passé ensuite avec tout son renom sur le média d’information russe RT America. Tucker Carlson, admirateur inconditionnel du président Poutine, a quant à lui sévit sur Fox News pendant six ans.

Trump repéré

Donald Trump (et les trumpistes du parti républicain) est lui aussi tombé sous le charme du maître du Kremlin. Selon le quotidien britannique The Guardian, il aurait été repéré par le KGB il y a quarante ans. Un ancien agent russe témoigne avoir eu à l’époque le sentiment que l’homme d’affaires était «extrêmement vulnérable intellectuellement et psychologiquement et qu’il était sensible à la flatterie». Le service de renseignement soviétique lui aurait alors suggéré de mener une carrière politique. On sait ce qu’il en est advenu.

Russiagate

L’ingérence russe dans les élections de 2016 a été prouvée (piratage informatique de mails sensibles du parti démocrate, diffusion de documents gênants…). Mais l’enquête sur le «Russiagate» (l’affaire russe) n’a pas réussi à démontrer formellement une collusion entre Moscou et le milliardaire américain. Il est toutefois clair que la politique menée par celui-ci dès qu’il arrive à la Maison Blanche est largement favorable aux vues et au calendrier du Kremlin. «L’Amérique qui mesure aujourd’hui l’étendue et le prix des compromissions sera longtemps hantée par « le spectre de 2016’’», conclut l’historienne française Laurence Saint-Gilles. Quand on voit la position de certains mandataires républicains face à la guerre en Ukraine, est-ce si sûr que cela ?

Cet article est paru dans le Télépro du 17/10/2024

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