Délation, le retour des corbeaux

Par définition (Petit Larousse), la délation est un acte vil : «dénonciation intéressée et méprisable». Pourtant, les pouvoirs publics nous y incitent parfois... © Getty
Alice Kriescher Journaliste

Doit-on considérer les délateurs comme des citoyens dotés d’un grand sens civique ? Ce dimanche à 20h05 sur Arte, le magazine «Vox pop» (Arte) pose la question.

La délation, mot historiquement connoté, a fait un retour en force avec la pandémie du covid-19. «Les gens doivent signaler les voisins soupçonnés d’accueillir un rassemblement de sept personnes ou plus», affirmait, par exemple, Kit Malthouse, ministre britannique de la Justice, en septembre 2020. La dénonciation : acte de civisme ou de lâcheté ?

Les voisins veillent

En 2005, à Lille, un photographe développe les clichés d’une cliente et remarque, effaré, sur l’un d’entre eux, un homme recroquevillé au sol, ensanglanté. Il prévient la police. Une femme est arrêtée pour violence conjugale envers son mari atteint de troubles mentaux.

La même année, par le biais d’une lettre anonyme, la liaison entre le patron de Boeing et une cadre de l’entreprise, est révélée. L’homme est licencié : le code de conduite de la société interdit les relations intimes entre collègues. Deux démarches de dénonciation, mais aux motifs bien différents.

Nuance

La délation est, par définition, un acte vil, comme le souligne le Petit Larousse qui la qualifie de «dénonciation intéressée et méprisable». Il s’agit donc, dans ce cas, de tirer profit d’une situation ou de dénoncer un comportement qui n’est pas illégal, mais qui dérange à titre personnel. Alors que dénoncer un crime, afin de protéger autrui ou le bien commun, est considéré comme utile à la société.

«La délation est une faute, car elle n’est pas fondée sur l’amour de la justice, sur la volonté de protéger les victimes ou les faibles, mais sur l’intérêt personnel. Cela dit, la délation vaut mieux que la non-dénonciation de crime, qui est presque toujours une faute morale», détaille le philosophe André Comte-Sponville, dans L’Express. «Quand il s’agit d’un enfant martyr, victime de mauvais traitements ou d’abus sexuels, chacun comprend bien que la dénonciation peut être juste et nécessaire.»

Délation 2.0

Comme les Grecs qui, durant l’Antiquité, chérissaient la délation, qu’ils qualifiaient de «vigilance démocratique», notre société actuelle semble avide d’une transparence totale. Parmi les représentants de ce besoin de clarté absolue figurent les lanceurs d’alertes : vigies citoyennes pour les uns, traîtres pour les autres. Quoi qu’il en soit, certains gouvernements ont décidé de faire appel au lanceur d’alarme sommeillant en chacun de nous. C’est le cas en Espagne, où le service des impôts a demandé à tout citoyen de dénoncer les fraudes fiscales dont il avait connaissance. En Allemagne, en France et au Royaume-Uni, cette pratique est aussi encouragée et même rémunérée !

Dénonciations

Dans notre pays, en 2020, le fisc a enregistré un nombre record d’accusations : 2.995, contre 1.958 un an plus tôt. Cependant, contrairement à nos voisins européens, l’administration n’est pas à l’aise avec la méthode. «Nous n’attendons pas que les citoyens fassent notre travail», affirme Francis Adyns, porte-parole du SPF Finances, au Soir. «Ces dénonciations sont spontanées et toujours vérifiées plusieurs fois. Nous ne sommes pas non plus organisés pour traiter : chez nous, il n’existe pas de site Internet dédié, comme c’est le cas pour la Sécurité sociale.»

Ce que dit la loi

Durant la pandémie, les mouchards ont été légion un peu partout dans le monde. «Ça n’arrête pas, les gens dénoncent tout et n’importe quoi», constatait, en 2020, au plus fort de la crise sanitaire, le porte-parole de la police de Charleroi. Attention néanmoins, le cafardeur peut devenir l’arroseur arrosé.

En Belgique, si la dénonciation permet de sanctionner des délits, la dénonciation calomnieuse qui ne repose sur rien ou qui est inventée dans le but de nuire est punie par la loi. Selon le code pénal, l’auteur de la calomnie risque une peine d’emprisonnement de 15 jours à 6 mois et une amende de 50.000 euros !

Cet article est paru dans le Télépro du 16/9/2021

Vous avez repéré une erreur ou disposez de plus d’infos? Signalez-le ici