De pères connus, de mères (trop) inconnues : les femmes qui ont participé à la création de l’Union européenne

Alice Kriescher Journaliste

Dans une série documentaire en trois parties à voir ce mardi dès 22h30, Arte met en lumière les figures féminines qui ont contribué à façonner le visage actuel de notre Vieux Continent.

Que l’on interroge un europhile averti ou quelqu’un qui puise dans ses souvenirs d’écolier, à la question « quels sont les grands noms qui ont fondé l’Union européenne ? », on obtiendra plus facilement des patronymes masculins. Bien sûr, nous devons beaucoup à Robert Schuman et autre Paul-Henri Spaak, néanmoins, l’Europe, sa création et sa pérennité se conjuguent aussi au féminin.

Dans les starting-blocks

Certes, les femmes n’ont pas eu accès au pouvoir jusqu’à la moitié du XXe siècle, mais la Seconde Guerre mondiale a rebattu les cartes pour toutes celles qui, durant le conflit, ont acquis une autonomie nouvelle. Ainsi, alors que l’Union européenne n’est encore qu’une idée, n’en déplaise à ce satané plafond de verre, des « Mères fondatrices » sont bel et bien de la partie.

Grand-mère de l’Europe

À commencer par Louise Weiss, véritable grand-mère de l’Europe. Infirmière et résistante durant la Guerre de 1939-1945, elle fonde, dès la fin du conflit, une revue politique internationale, l’Europe Nouvelle. La Française y expose sa volonté de pacifisme et réfléchit aux possibilités de réconciliation entre les pays européens afin d’éviter une nouvelle guerre. En 1924, elle rencontre Aristide Briand et publie, dans sa revue, son « Mémorandum sur l’Union fédérale européenne », considéré comme une des bases de la construction européenne.

Lent cheminement

Pour Louise Weiss, la paix passe notamment par l’implication des femmes en politique. Son vœu prend du temps à être exaucé. En 1952, l’Assemblée parlementaire du Conseil de l’Europe se réunit pour la première fois. Sur les 78 membres, une femme : Marga Klompé. « Énergique et bonne négociatrice, cette Néerlandaise poursuivra l’objectif de créer un marché intérieur européen commun », relate la série documentaire.

Doyenne des députés

En 1979, le Parlement européen est élu au suffrage universel. À la tribune de l’hémicycle strasbourgeois, la doyenne des députés n’est autre que Louise. Lors de son discours, elle évoque ses combats féministes, avant de saluer la nouvelle présidente investie, une femme rescapée des camps, déjà rompue à la politique et dont la loi française sur l’interruption volontaire de grossesse porte le nom : Simone Veil.

65/410

Si cette première législature véritablement démocratique du Parlement européen ne compte que 65 femmes pour 410 hommes, ce groupe féminin hétéroclite en termes de générations et de tendances politiques est un levier pour la condition de la femme. « En 1979, une commission pour les droits de la femme se crée sous la présidence de la socialiste française Yvette Roudy et produira quatre rapports sur la situation de la femme en Europe pendant cette première législature », explique Víctor Fernández Soriano, historien à l’ULB, dans les chroniques de Carta Academica. « Depuis ces années 1970, les exploits des mères fondatrices de l’Europe jalonnent ainsi la construction européenne sur la voie de la promotion des égalités. »

Pas de compromis à la belge !

Notre pays possède également de grands noms européens, dont celui d’Éliane Vogel-Polsky. À la fin des années 1960, cette Gantoise et avocate spécialisée en droit du travail et social découvre le combat mené par les ouvrières de la Fabrique nationale d’armes de Herstal : elles luttent, sans grand succès, pour obtenir un salaire égal à celui de leurs homologues masculins. L’avocate belge se met en tête de faire appliquer l’article 119 du Traité de Rome (instituant, en 1957, la Communauté européenne) qui stipule que : « chaque État membre assure l’application du principe d’égalité des rémunérations entre les travailleurs masculins et les travailleurs féminins, pour un même travail. » Après un combat acharné, elle obtient gain de cause. « Dans l’arrêt Defrenne II, la Cour reconnaît que l’article 119 crée un droit qui peut être directement invoqué devant les tribunaux de n’importe quel État membre des Communautés européennes », explique France Culture. « Cet arrêt fera date dans l’histoire sociale de l’UE. »

Cet article est paru dans le Télépro du 12/12/2024

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