Collaboration en Belgique francophone : «Pas de tabou chez nous !»
Mercredi à 20h25 sur La Une, un documentaire inédit donne la parole aux «Enfants de la collaboration».
Pour mieux comprendre cet aspect de notre histoire, nous avons rencontré Alain Colignon, historien au CEGESOMA (Centre d’études Guerre et Société).
Sous quelle forme la collaboration a-t-elle eu lieu dans notre pays ?
La collaboration politique en Belgique s’est développée sous deux formes très différentes. En Belgique francophone, il y a eu la collaboration rexiste, articulée essentiellement autour du mouvement de Léon Degrelle. Elle entendait sauvegarder ce qui pouvait être de l’identité belge en se plaçant résolument dans une Europe allemande de type national socialiste. C’est donc la version belge francophone des fascismes qui fleurissaient à l’époque à travers l’Europe. En Flandre, on se trouve en présence d’un autre fascisme qui est marqué par le nationalisme flamand antibelge et qui est articulé autour du Vlaams Nationaal Verbond (VNV).
Peut-on chiffrer le nombre total de collaborateurs belges ?
Pour le parti rexiste, on cite souvent le chiffre 13.000 à 15.000 membres. À cela, il faut ajouter les petits mouvements ultra nazis. «Les Amis du Grand Reich allemand», par exemple, comptabilisait 2.500 membres au mieux de sa forme, en 1942. En Flandre, le VNV comportait 84.000 membres et son concurrent, le DeVlag, lorsqu’il a été favorisé par l’Allemagne fin 1943, début 1944, représentait plus de 50.000 membres. Nous parlons là uniquement de la collaboration politique. Si on y ajoute les collaborateurs militaires, économiques et culturels, qui ne sont pas forcément encartés dans un parti, on peut estimer qu’en Belgique francophone, la collaboration sous toutes ses formes représente un peu moins de 1 % de la population et, en Flandre, 2 à 2,5 %.
Après-guerre, lorsque les collaborateurs ont été jugés, qu’advenait-il de leurs enfants ?
À ce sujet, l’État belge a été assez ambigu. Dans une certaine mesure, les enfants de collaborateurs ont été protégés en étant placés dans des orphelinats ou dans une famille d’accueil. Cependant, ce qu’il y a eu de commun dans les deux parties du pays, c’est que certains des collaborateurs ont été astreints à une amende en plus de la peine de prison. Et si ces derniers n’étaient pas capables de l’assumer dans le temps ou que le collaborateur en question mourrait, ses enfants, devenus adultes, devaient continuer à payer la dette de leurs parents. Et ça, naturellement, c’est resté en travers de la gorge de certains enfants.
Une certaine stigmatisation des enfants de collaborateurs néerlandophones aurait-elle pu favoriser le nationalisme flamand ?
Non, dans la mesure où le nationalisme flamand existait bien avant la guerre. Le mouvement nationaliste flamand est enraciné dans la mouvance qu’on appelle «le mouvement flamand» et qui existe bien avant 1914. Cependant, les collaborateurs flamands ont pu se sentir sanctionnés moralement parce que, en leur for intérieur, ils avaient mauvaise conscience. Une stigmatisation morale qui a pu se transmettre dans le cadre familial.
Y-a-t-il un tabou autour du sujet de la collaboration en Belgique francophone ?
Non ! Il n’y a pas de tabou, contrairement à ce qu’on dit. Le tabou qui peut exister est uniquement intrafamilial. Dans les familles et les descendants de collaborateurs, on n’en parle pas parce qu’on estime tout simplement que les actes commis par papa, grand-père ou l’oncle Jules ne sont pas très élogieux. Au niveau de la collectivité francophone, c’est plutôt de l’indifférence. Et c’est assez naturel puisque la collaboration francophone représente un nombre infime d’individus et, qu’en plus, il s’agissait de gens assez quelconques. J’ai réellement l’impression que les Wallons, 75 ans après la fin de la guerre, ont tout simplement tourné la page.
Cet article est paru dans le magazine Télépro du 19/11/2020
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