Classe moyenne : flou total
Que renferme réellement ce concept générique dont usent et abusent politiciens et sociologues ? Ce mercredi à 22h30, le documentaire d’Arte «Classe moyenne, les révoltés» cherche à le savoir…
En France, la classe moyenne est parfois incarnée par les gilets jaunes, dont le désarroi s’exprime dans la rue. Chez nous, ce groupe social se retrouve régulièrement au centre des discours de politiques de tous bords, qui assurent chacun en défendre les intérêts.
Pourtant, sociologues et autres intellectuels l’affirment : ce que l’on qualifie de «classe moyenne» s’étiole aussi vite que les inégalités sociales s’intensifient.
Concept vague
En février dernier, chez nos voisins d’outre-Quiévrain, François Bayrou, président du parti centriste le MoDem, provoquait un tollé en affirmant que le revenu mensuel représentatif de la classe moyenne serait de 4.000 €. Une méconnaissance de la réalité qui s’explique peut-être par le manque de clarté entourant la définition exacte de classe moyenne.
Selon un rapport de l’Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE), 65 % des Belges feraient partie de cette classe sociale, englobant la tranche de la population qui gagne entre 16.443 et 43.849 €/an. Autant dire que le concept est large…
Un constat que fait également Jean Faniel, docteur en sciences politiques et directeur général du Centre de recherche et d’information socio-politiques (CRISP), interrogé par la revue Alter Échos. «La classe moyenne est presque par définition une sorte de fourre-tout. On est dans la classe moyenne d’abord et avant tout parce qu’on s’y reconnaît. La classe moyenne est une classe aux contours flous, il faut donc plutôt voir l’usage qui en est fait.»
Statut précaire
Outre ses contours complexes à définir, la classe moyenne fait face à un danger majeur, celui de disparaître complètement. «Aujourd’hui, la classe moyenne ressemble à un bateau naviguant dans des eaux rocheuses», prévient l’OCDE dans un rapport de 2019, «beaucoup de familles courent le risque de tomber vers un revenu plus faible et un statut inférieur».
Un autre aspect, moins commun et plus psychologique, met également la classe moyenne en péril. «On peut avoir des gens qui ne sont pas objectivement paupérisés mais qui ont un train de vie tel qu’ils s’imaginent devoir avoir. Parce qu’ils estiment appartenir à la classe moyenne et qu’ils lorgnent sur la classe supérieure», analyse Jean Faniel. «On s’endette alors pour avoir tout ce qui est symboliquement lié à cette appartenance. C’est parfois difficile à obtenir ou à garder et, même si tout va bien, le moindre ’couac’ (divorce, perte d’emploi…) envoie ces gens dans le décor. On peut donc avoir deux phénomènes : économiquement, une réelle dégradation de la situation économique, et subjectivement, un déclassement en termes de perception de sa place dans la société.»
Tranche sociale pressée
Le maintien d’une stabilité économique pour la classe moyenne est pourtant essentiel au système dans sa globalité. Cette frange de la population est en effet le plus grand participant aux financements de l’État et de ses structures.
Pourtant, comme l’indique le rapport de l’OCDE, «malgré ce rôle primordial, la situation actuelle n’est pas favorable et le fait de se sentir de plus en plus pressé comme un citron conduit à la montée des populismes et des nationalismes.»
Pour alller plus loin : «Les Classes sociales en Belgique : deux siècles d’histoire», ouvrage collectif sous la direction de Guy Vanthemsche, 461 pages, 29 € (éd. CRISP, 2016)
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