Célibat des hommes d’Église : ces prêtres qui souffrent de ne pas être deux
La majorité des prêtres dans le monde ne respecterait plus aujourd’hui le célibat que l’Église leur impose (*). Ce mardi à 20h55 sur Arte, un documentaire d’Éric Colomer et Rémi Bénichou, intitulé «Célibat des prêtres, le calvaire de l’Église», explore cette réalité et confronte l’Église catholique à ses contradictions autour de cette sacro-sainte règle, synonyme de souffrances.
Éric Colomer, vous avez récemment produit pour Arte le documentaire «Religieuses abusées, l’autre scandale de l’Église» (2019). Comment cette nouvelle enquête s’est-elle imposée ?
Éric Colomer : La crise que l’Église catholique traverse en ce début de XXIe siècle m’intéresse profondément. Les abus sexuels ne sont pas une conséquence directe de la règle du célibat, cependant il est difficile de ne pas y voir un lien. Cet impératif crée, dès le séminaire, des frustrations lourdes de conséquences. Le célibat est aussi lié à la crise des vocations : bien des croyants ne sont pas prêts à s’engager au prix de leur vie affective et sexuelle. C’est une question cruciale qui met en jeu l’avenir de l’Église.
Rémi Bénichou : Les conservateurs défendent une vision du prêtre sacralisé, différent des autres hommes car libéré du poids de la chair. Les progressistes le voient comme un homme parmi les hommes, un berger dont le rôle est d’accompagner et de transmettre un savoir. Notre film montre que cette vision du prêtre comme pur esprit s’avère (à quelques exceptions près) une utopie. Parce que les clercs sont des hommes comme les autres, dotés d’un corps et éprouvant des sentiments. Les prêtres comme leur hiérarchie sont donc contraints de s’arranger avec cette réalité, ce qui crée des situations indéfendables d’un point de vue éthique et cause beaucoup de souffrances.
Comment avez-vous abordé votre enquête ?
R. B. : Dans cette institution très figée qu’est l’Église, en réalité, il y a du mouvement. Nous avons pris conscience qu’il était inutile de faire appel à des commentateurs extérieurs, car nous pouvions trouver des points de vue très éclairés au sein même de l’Église. L’idée n’était pas de faire un film anticlérical. En fait, l’anticléricalisme existe déjà à l’intérieur de l’Église.
E. C. : Entrer dans les réseaux, identifier les bonnes personnes et les convaincre de parler prend beaucoup plus de temps que de faire appel à des «experts». Mais nous étions convaincus que notre film serait plus légitime si l’institution exprimait elle-même la problématique. Ce film devait montrer que le célibat des prêtres n’est pas respecté ; que cela crée de la souffrance ; que l’Église le sait et s’organise pour le cacher. Chacun de nos témoins devait éclairer ces trois niveaux de démonstration.
Avez-vous été conduits plus loin que vous ne le pensiez ?
E. C. : Nous n’imaginions pas que la rébellion était aussi forte. Qu’elle était déjà en action, frontalement contre Rome, à travers des initiatives comme la formation de laïcs, en Autriche, pour célébrer des messes, la nomination de femmes pour gérer des paroisses en Allemagne, jusqu’aux églises dissidentes qui commencent à essaimer dans le monde. À l’inverse, comment ne pas trouver désarmant le fait que l’Église catholique, qui interdit aux prêtres de se marier, recrute des prêtres dans d’autres églises chrétiennes pour combler le manque d’effectifs… des prêtres qui ont femme et enfants ? Cela montre à quel point l’institution est schizophrène.
Pourquoi ne parvient-elle pas à se réformer ?
R. B. : Vaste question ! On ne peut avancer que des hypothèses. C’est une structure sclérosée, régie par différents rapports de force. Leur équilibre fait qu’ils se neutralisent les uns les autres, et qu’une réforme de l’intérieur semble peu envisageable.
E. C. : L’Église catholique romaine est la seule à imposer le célibat. On peut penser qu’elle s’accroche à cette singularité. L’image du prêtre sacré, le faste des habits et des cérémonies sont des facteurs d’identification forts. Par ailleurs, cette Église se veut universelle. Cela en fait une organisation mondiale qui, bien qu’en perte d’influence, apparaît extrêmement lourde à mobiliser.
(*) Selon la thèse de la religieuse et sexologue clinicienne québécoise Marie-Paul Ross, qui a enquêté sur tous les continents
Entretien : Jonathan LENNUYEUX-COMNÈNE
Cet article est paru dans le Télépro du 8/9/2022
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