Bébé-médicament : né pour sauver une vie
Les «bébés-médicaments» existent depuis près de vingt ans. Ils sont nés en portant l’espoir de guérir leur aîné malade. Ce lundi à 20h35, La Trois diffuse le documentaire «L’Enfant du double espoir».
Adam, s’il porte le prénom du premier homme selon la Bible, l’ignore encore, mais ce nourrisson, né le 29 août 2000 à Denver (États-Unis), est lui aussi «un premier homme», à sa façon. Il voit le jour, car sa grande sœur, Molly, 6 ans, souffre d’une maladie génétique rare et mortelle : l’anémie de Fanconi.
Une greffe de cellules souches hématopoïétiques (à l’origine de toutes les cellules sanguines) est le seul espoir pour Molly de guérir. Mais il n’y a pas de donneur compatible. Cependant, ces cellules se trouvent notamment dans le sang du cordon ombilical à la naissance. Le petit frère qui va naître est le seul à pouvoir la sauver : Adam est le premier «bébé-médicament» de l’histoire.
Éprouvettes de l’amour
Le parcours est chaque fois identique. Au départ, il y a un enfant atteint d’une maladie génétique incurable (hémophilie, maladie de Huntington, mucoviscidose…) : si on n’intervient pas, c’est la mort dans les premières années de sa vie. Pour éviter l’issue fatale, les médecins s’orientent d’abord vers les banques de sang de cordon ombilical à la recherche d’un donneur compatible. S’ils n’en trouvent pas, il reste la possibilité de créer les cellules souches indispensables à la survie. Comment ? En proposant aux parents de concevoir un autre enfant.
Cette conception a lieu en laboratoire, in vitro : les ovocytes de la mère sont fécondés par les spermatozoïdes du père. Les embryons obtenus sont alors analysés : c’est le diagnostic préimplantatoire (ou DPI). Il permet de s’assurer, d’une part, que l’embryon est sain et ne présente pas de signe de maladie congénitale. D’autre part, qu’il est compatible avec le système immunitaire de son aîné(e).
«Les chances qu’il le soit ne sont que de 10 %», précise le site Doctissimo. Une fois ce DPI effectué, les médecins savent déterminer les embryons qui, lorsqu’ils seront inséminés artificiellement, permettront à la maman de donner naissance à un enfant dont le sang du cordon ombilical (ou la moelle osseuse) sera compatible avec celui de l’enfant malade. La greffe peut alors avoir lieu.
Chez nous depuis 2005
En Belgique, la loi relative à la recherche sur les embryons in vitro existe depuis le 11 mai 2003. Elle précise dans quel cadre très strict celle-ci peut être autorisée, si elle a un objectif thérapeutique. En janvier 2005, l’hôpital universitaire bruxellois AZ-VUB annonce la naissance des deux premiers « bébés-médicaments » européens.
Le 17 juillet 2007, la loi relative à la procréation médicalement assistée précise que «le diagnostic génétique préimplantatoire est exceptionnellement autorisé dans l’intérêt thérapeutique d’un enfant déjà né». Elle ajoute que le projet parental ne doit pas avoir pour seul objectif la réalisation de cet intérêt thérapeutique, «estimation qui doit être confirmée par le centre de génétique humaine consulté».
Et l’amour ?
L’histoire des «bébés-médicaments» ne s’écrit pas comme un long fleuve tranquille. D’abord, la technique n’est pas infaillible. Fin de l’année dernière, le tribunal de Première instance de Bruxelles donnait raison à un couple espagnol réclamant un dédommagement à un hôpital bruxellois : aucun des deux enfants engendrés pour soigner leur aîné n’était compatible.
Se pose aussi la question de l’accès à cette technique, vu son coût élevé. Quant à l’éthique, les avis divergent. Quel impact psychologique pour l’enfant-sauveur ? Il peut imaginer n’avoir été conçu qu’en tant qu’instrument de la guérison d’un autre. Et l’enfant-sauvé ? Il est débiteur à jamais de sa sœur ou de son frère.
«Ce bébé constitue l’instrument obligé d’une décision», écrit le pédopsychiatre Jean-Yves Hayez dans un ouvrage collectif sur le sujet. «On peut douter qu’il existe un seul enfant qui fût jamais désiré et conçu pour lui-même», lui répond le philosophe Jean-Michel Longneaux.
Bébé-instrument pour les uns, enfant du double espoir pour les autres : les greffes permettraient de guérir la sœur ou le frère malade dans 80 % des cas…
Cet article est paru dans le Télépro du 5/5/2022
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