Amiante : le poison invisible tue toujours
Un quart de siècle après son interdiction, l’amiante fait encore des victimes. Un doc français le rappelle sur France 5. Et en Belgique ?
«David a vaincu Goliath !» Celui qui écrit cela dans La Libre Belgique le 28 mars 2017 s’appelle Éric Jonckheere. Il est Partie civile dans le «procès de l’amiante» qui connaît son épilogue devant la cour d’Appel de Bruxelles. Sa maman, son papa, deux frères ont été décimés par le cancer lié à cette matière.
À la sortie du palais, Éric ne peut cacher son émotion et sa satisfaction. Après des années de procédures, la Justice a donné raison aux plaignants. La société Eternit, productrice de «l’asbeste-ciment», est reconnue coupable. Depuis les années 1970, Eternit savait que l’amiante était hautement cancérigène. Malgré cela, elle n’a pas protégé le personnel de son usine de Kapelle-op-den-Bos (Brabant flamand) ni ses riverains. Un combat long de près de vingt ans se termine.
Minerai «magique»
L’amiante, qu’est-ce ? «Une roche fibreuse qui apparaît en plusieurs variétés», définit l’Apsam, association française pour la santé et la sécurité au travail. «Un matériau isolant et résistant largement utilisé jusqu’à son interdiction en 1997 (ndlr : 1998 en Belgique) du fait de ses effets néfastes sur la santé», complète Le Figaro Santé. Peu onéreux, résistant au feu, il est utilisé depuis le milieu du XIXe siècle et connait un réel succès entre 1930 et 1980. On fait largement appel à lui dans la construction pour l’isolation thermique, l’insonorisation, les toitures, faux plafonds…, mais aussi pour fabriquer des câbles électriques, plaquettes de freins, canalisations. Un peu de tout. D’où son surnom de minerai «magique». Magie noire en réalité : sa dangerosité est connue depuis longtemps.
Une hécatombe
Dès le début du XXe siècle, des voix dénoncent ses nuisances. L’amiante entre dans l’organisme principalement par les voies respiratoires. Les fibres sont si petites (400 à 2.000 fois plus petites qu’un cheveu) qu’elles sont invisibles à l’œil nu. Plus leur quantité inhalée est importante, plus l’exposition est longue, plus les risques sont énormes. Les fibres se logent dans les alvéoles pulmonaires. Elles sont à l’origine de maladies comme l’amiantose (détectée parfois après 15 à 20 ans d’exposition), de cancers du poumon et le mésothéliome (qui peut se déclarer au bout de 30 à 40 ans). Dans le cas de la famille Jonckheere, le papa était ingénieur technicien à l’usine brabançonne productrice de matériaux en amiante. Il décède d’un mésothéliome en 1987 à 59 ans. Sa famille habite à proximité de l’entreprise. La maman, Françoise, décède aussi d’un mésothéliome en 2000 et deux des cinq fils (44 et 43 ans) en 2003 et 2009.
La lutte continue
Au décès de la maman, la famille décimée intente une action en justice contre Eternit. Un premier procès lui donne raison en 2011 : la société est reconnue coupable et condamnée à payer 250.000 e de dommages et intérêts à la famille. Eternit va en appel. Nouvelle condamnation en 2017, mais les dédommagements sont nettement revus à la baisse : 25.000 e ! Aujourd’hui, l’Association belge pour les victimes de l’amiante (ABEVA), créée en 2000, continue à se battre. Elle se mobilise pour «la reconnaissance et l’amélioration de l’indemnisation de toutes les victimes de l’amiante». Elle se bat aussi pour une meilleure connaissance des risques liés à sa présence dans des lieux publics et privés.
Payés pour se taire
Quatre ans après l’issue du «procès de l’amiante», son combat est loin d’être terminé. Éric Jonckheere est président de l’ABEVA. «Le fonctionnement du «Fonds amiante» pour l’indemnisation de toutes les victimes s’est considérablement amélioré (sommes revues à la hausse et élargissement des catégories de malades)», confie-t-il. «Par contre, le lobby de l’amiante a obtenu que celui qui fait appel au Fonds renonce à toute action et procédure judiciaire contre les responsables (employeurs, multinationales…) leur ayant fait respirer de l’amiante»…
Plus de 300 morts/an
Actuellement, il reste deux dossiers «amiante» à l’instruction concernant des cheminots décédés de mésothéliome après avoir travaillé «dans des lieux infestés d’amiante». Éric Jonckheere espère qu’après la Flandre, le sud du pays va à son tour adopter un plan de désamiantage massif de tous les lieux publics. «Officiellement, l’amiante fait entre 300 et 350 victimes chaque année en Belgique. Nous pensons que ce chiffre est trois fois plus élevé. L’hécatombe continue…»
Cet article est paru dans le Télépro du 11/02/2021.
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