Afghanes : des voix derrière les voiles
Réduites à un statut de victimes ou instrumentalisées, les femmes afghanes ont rarement l’occasion de s’exprimer en leur nom. Solène Chalvon-Fioriti, journaliste, grand reporter et réalisatrice française, leur a donné la parole. Entretien.
En 2023, Solène Chalvon-Fioriti rencontre plusieurs femmes afghanes, âgées de 17 à 70 ans, issues de la ville, de la campagne, ou vivant en exil. Dans un documentaire (diffusé lundi à 20h30 sur La Trois), elles livrent leur récit intime, mais aussi leur lecture des événements qui jalonnent l’histoire afghane.
Solène, vous étiez très jeune quand vous êtes partie en Afghanistan…
J’avais 24 ans quand j’ai atterri à Kaboul. J’y ai notamment rencontré les membres de la Pill Force, un réseau féministe clandestin qui distribuait des pilules abortives à l’université et dans les campagnes afghanes.
Avez-vous eu peur, à un moment ou un autre ?
Je crois que j’avais moins peur des talibans que mes confrères masculins. Ils hésitent à frapper ou torturer une femme comme ils le font avec un homme. Ces dernières années, les manifestations des femmes ont été la seule forme de résistance visible. Et comme il n’est pas admissible, dans la culture afghane, de séparer les filles de leurs familles, ils hésitent à les mettre en prison. Sauf si de très lourdes charges pèsent sur elles. «Charges très lourdes», dans le jargon taliban, c’est, par exemple, crier dans la rue, un acte d’une terrible indécence dans une culture où les femmes n’ont pas le droit de montrer leur visage et où leurs rires ne s’entendent pas.
Pourriez-vous tourner ce même film aujourd’hui ?
Non. D’abord parce qu’il a fâché les talibans (au pouvoir entre 1996 et 2001 et depuis 2021, ndlr). Ils m’ont donc interdit de revenir dans le pays, ce qui ne m’a pas empêchée d’y retourner par d’autres moyens qu’une accréditation de presse. En outre, ils ont renforcé l’appareil sécuritaire. Si vous sortez votre caméra dans la rue, un type va, à coup sûr, vous tomber dessus. Et enfin, les talibans sont si répressifs que d’obtenir des femmes qu’elles témoignent à visage découvert est désormais très compliqué.
Quelle a été votre appréhension des femmes afghanes ?
Vous le verrez dans le film. Ce sont des femmes fortes qui, finalement, nous ressemblent beaucoup. Quand on a compris que les talibans allaient gagner la guerre, j’ai vu les journalistes occidentaux, qui avaient porté ces femmes aux nues, s’en détourner et lâcher l’affaire. J’ai passé dix ans à voir des parlementaires à la solde de la République afghane qui terrorisaient les femmes, les empêchaient de travailler, faisaient fermer les foyers pour les victimes de violences… Finalement, ils étaient pires que les talibans.
Que faire pour ces femmes abandonnées ?
Idéalement, adopter une politique d’asile féministe pour les Afghanes. On ne fait rien pour les visas, on ne renforce pas les consulats, ni en Iran ni au Pakistan, qui sont les deux seuls pays où elles peuvent se réfugier. Et, comble de l’hypocrisie, le seul secteur où elles sont encore autorisées à travailler, c’est le secteur privé. Les ateliers de confection – qui accueillent souvent des écoles clandestines -, par exemple, continuent d’exister. Hélas, c’est aussi un secteur étranglé par l’Occident qui maintient les sanctions financières sur le pays. Une telle posture encourage d’autres dynamiques régionales : l’Afghanistan se rapproche de la Russie et de la Chine…
Cet article est paru dans le Télépro du 18/9/2024
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