70 ans après l’hiver 1954, l’appel de l’abbé Pierre résonne encore
Ce samedi à 20h30, «Retour aux sources» revient sur l’hiver 1954, si rude en France que les sans-logis mouraient sur les trottoirs, et sur le cri de colère de l’abbé Pierre qui déclencha un élan de générosité sans précédent.
À la fois prêtre, révolutionnaire, homme politique et médiatique, l’abbé Pierre (1912-2007) fait partie de ces grands hommes comme il y en a eu aussi en Belgique. Pour en parler en plateau, Élodie de Sélys reçoit l’historien Vincent Genin (ULiège) et Mgr Jean-Pierre Delville, évêque de Liège.
L’abbé Pierre est devenu «la voix des sans voix», des mal-logés, des opprimés. Mort en 2007, le fondateur d’Emmaüs a été désigné seize fois «Personnalité préférée des Français» qui se reconnaissent en ce prêtre rebelle, connu pour son franc-parler, ses coups de gueule, ses entêtements, ses contradictions… Mais aussi son pragmatisme, sa sagesse et son humour. C’est cette dualité que le documentaire de Cédric Condon explore. Un grand homme de notre Histoire sociale, attachant, parfois déroutant, profondément humain.
Assistant à l’ULiège et au CegeSoma AGR, diplômé de l’EPHE à Paris, Vincent Genin s’est spécialisé dans l’histoire des sciences sociales et religieuses.
Que pensez-vous de ce documentaire ?
Il est très intéressant. Ce n’est pas un récit biographique, on se concentre sur l’hiver 54. Les archives sont bien choisies, comme les témoignages de ceux qui ont travaillé avec lui. L’abbé Pierre est devenu très vite une figure symbolique.
Parlez-nous de lui…
Il avait créé dès 1949 la Fondation Emmaüs, qui a pris une ampleur inédite durant l’hiver 54 après son fameux appel à la radio. Il faut rappeler que l’abbé Pierre, de son vrai nom Henri Grouès, est issu de la bourgeoisie catholique de Lyon et s’est senti attiré par la Foi très jeune. Il est devenu capucin, un ordre mendiant tourné vers les pauvres et qui pratique la pauvreté ; comme d’autres personnalités en Belgique connues pour leur idéal de générosité (Germain Dufour, l’abbé Froidure…). Sa santé était trop fragile pour résister aux rigueurs des Capucins et il deviendra aumônier militaire, résistant, puis député (mais il se dispute avec son parti) avant de fonder Emmaüs, grâce à sa rencontre déterminante avec Lucie Coutaz. Il garde toute sa vie l’allure d’un moine capucin, avec sa cape, et reste fidèle à leur philosophie : ne rien posséder et déléguer les affaires temporelles à un économe de leur ordre.
L’abbé Pierre avait-il une part d’ombre, des contradictions ?
Comme tout le monde ! Il était très médiatique et est devenu le symbole de la charité, un saint moderne. C’est un grand organisateur, un mobilisateur, un homme d’initiatives. Il était moins doué pour la gestion quotidienne et déléguait tout à Lucie Coutaz. Emmaüs a permis de venir en aide aux victimes de la crise sociale de l’après-guerre : ses adolescents errants, sa grave crise du logement. L’abbé Pierre a pris la place de l’État, insuffisant, et a réussi à mobilier à la fois le public, les autorités et les stars (Charlie Chaplin, Michel Simon…). Les dons ont afflué. Il a utilisé les médias pour faire monter la pression auprès des décideurs. Il fut un catalyseur historique.
La Fondation Emmaüs est-elle toujours aussi nécessaire en 2024 ?
L’aide sociale est aujourd’hui mieux structurée en France et en Belgique mais des gens vivent toujours dans la rue et Emmaüs est toujours très utile. La fondation est devenue une structure mondiale, active en Europe, en Asie, en Afrique, etc. L’abbé Pierre avait prévu le futur de sa fondation, il l’avait restructurée pour l’ouvrir à l’international. Partout dans le monde, elle continue à lutter efficacement contre la pauvreté…
Cet article est paru dans le Télépro du 18/1/2024
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