3 à 4 % d’ados proches de l’anorexie

Lene Marie Fossen, jeune photographe norvégienne anorexique pendant plus de vingt ans, est décédée en 2019 © Arte

Dans la collection «La Vie en face», Arte diffuse le bouleversant «Lene Marie ou le vrai visage de l’anorexie», dont la psychiatre Brigitte Remy vient débattre à l’antenne, mercredi sur Arte. Entretien avec cette spécialiste des troubles des conduites alimentaires.

Brigitte Remy, qu’avez-vous ressenti face au portrait documentaire de Lene Marie Fossen ?

Je l’ai trouvé très beau, très puissant et poignant. Et aussi, en tant que thérapeute, désolant, parce que cette jeune Norvégienne pleine de talent et de finesse n’a pas trouvé de remède à sa souffrance et a fini par en mourir. C’est encore le cas d’une proportion trop grande des personnes atteintes d’anorexie mentale, dont le taux de mortalité global, au bout de dix à vingt ans d’évolution, est dix fois supérieur au reste de la population du même âge. Elle reste la première cause de décès parmi les maladies psychiques.

Quelle est la prévalence (nombre de cas d’une maladie dans une population à un moment donné, englobant les nouveaux cas et anciens, ndlr) de l’anorexie ?

Dans les sociétés occidentales, où elle touche en grande majorité des adolescentes, on estime que 0,5 à 1 % des femmes entre 14 et 20 ans souffriraient de sa forme la plus sévère, mais dix fois plus si on inclut les atteintes mineures et la boulimie. En outre, on pense que la moitié seulement des troubles des conduites alimentaires, ou TCA, sont déclarés et soignés. On parle de «troubles» plutôt que de «maladies», car ils sont réversibles et ne détruisent pas les capacités cognitives et émotionnelles. Il s’agit d’un enjeu majeur de santé publique, qui commence à être reconnu comme tel. En France, dans les services spécialisés, on dénombre beaucoup moins de décès qu’il y a vingt ans. Pourtant, comme pour le reste de la psychiatrie, nous restons très en deçà des moyens nécessaires.

Pourquoi parle-t-on d’anorexie «mentale» ?

«Anorexie» signifie perte d’appétit. Là, il s’agit d’un refus actif de s’alimenter pour apaiser des émotions dévastatrices. La dénutrition devient addictive, car elle provoque une sécrétion d’endorphines et de cortisol qui anesthésient la douleur psychique et procurent une sorte d’euphorie. Il est essentiel de repérer très tôt les conduites anorexiques, en développant notamment la prévention et la détection, parce qu’au-delà de deux ans, on s’installe dans une chronicité qui augmente la dépendance et rend la guérison plus difficile. Par ailleurs, comme Lene Marie le dit aussi, son mal ne relève en aucun cas d’un caprice. Elle a besoin de cette «solution» à la douleur. Loin d’une coquetterie tyrannique enjoignant de rester mince, le trouble s’accompagne souvent d’une hypersensibilité au malheur du monde. La souffrance de Lene Marie lui permet de comprendre plus profondément l’âme humaine, mais à un prix que personne ne devrait payer.

Une «maladie» d’adolescentes…

Selon les sources, 3 à 4 % d’adolescents souffrent de troubles graves du comportement alimentaire, à un âge de plus en plus précoce. Ce sont surtout les filles qui entrent dans une spirale infernale. Chaque année, 800 nouveaux cas seraient détectés en Belgique. Dont certains sont si sévères qu’ils deviennent mortels… (www.futura-sciences.com).

Extrait d’interview paru dans le Télépro du 13 août 2020.

Vous avez repéré une erreur ou disposez de plus d’infos? Signalez-le ici