Un festival audiovision pour permettre aux aveugles de «voir» les films
« Une pluie de cendres recouvre le paysage d’un tissu noir et poussiéreux. Des ptérodactyles tournent dans le ciel obscurci par la fumée ». Dans la salle de cinéma, les enfants aveugles écoutent, casque sur les oreilles, les descriptions qui les aident à « voir » le film projeté en ouverture du festival audiovision de Paris.
Fabio, 9 ans et demi, est arrivé tout excité mercredi après-midi dans la salle UGC Gobelins du XIIIe arrondissement, où se tient jusqu’au 14 avril ce festival proposant une trentaine de films en audiodescription.
Pour le petit garçon, malvoyant, l’attrait tient surtout au fait que « les fauteuils sont confortables, l’écran sera géant, et au cinéma il y a des popcorns ». Mais il sait qu’il pourra « imaginer » le film, grâce aux voix off qui lui décriront les décors, les mouvements (« le bébé plonge dans l’arbre et rebondit de feuille en feuille »), les expressions…
En cette journée d’inauguration du festival, des élèves de l’Institut national des jeunes aveugles et des lycéens « voyants » ont été invités à la projection en avant-première du film de Jamel Debbouze, « Pourquoi j’ai pas mangé mon père ». Ils participeront ensuite à un débat animé par Benjamin Mauro, animateur radio aveugle de naissance.
Pour ce dernier, « le procédé de l’audiodescription, ça change beaucoup de choses. Il y a parfois des postures, des allers et venues, des sourires, qu’on n’entend pas forcément ». Avec cette technique, « on voit vraiment les films, on les apprécie à leur juste valeur ».
Afin de ne pas gêner les autres spectateurs, les personnes aveugles et malvoyantes suivent le film avec des boîtiers récepteurs et des casques qui leur sont remis au cinéma, et qui leur permettent d’accéder à la piste sonore supplémentaire, comportant les descriptions.
Importée des Etats-Unis, l’audiodescription s’est progressivement développée en France depuis les années 90. Le mouvement a été favorisé par des aides proposées depuis 2012 par le Centre national du cinéma et de l’image animée (CNC) aux producteurs de films francophones.
« Faire des choix »
« Malheureusement, ce n’est pas assez développé », regrette Olivier Jaud de La Jousselinière, administrateur de l’association Valentin Hüy, qui veut favoriser l’accès à la culture des personnes déficientes visuelles et organise ce festival.
En 2014, « à peine 16% des films » bénéficiaient d’une version en audiodescription et moins de 2% des salles de cinéma étaient équipées, selon l’association. L’un de ses responsables, Patrick Saonit, observe cependant une « montée en puissance » cette année.
La technique ne séduit pourtant pas tout le monde. « Ca apporte un plus », convient un adolescent pendant le débat. « Mais comme j’ai toujours eu l’habitude de regarder des séries, des films, des mangas sans, ça m’handicape plus en fait ».
Pour lui, « les bruits de la vie quotidienne, les voix des personnages, la logique » suffisent à la compréhension.
De fait, pour ce film d’animation, les descriptions – faites par deux voix, masculine et féminine, alternant selon les séquences – sont bien intercalées entre les dialogues, mais sont moins audibles quand elle débordent sur la bande son musicale. « A des moments, j’ai été obligé de monter très fort pour entendre les commentaires », souligne Benjamin Mauro.
« Les films d’animation sont souvent des challenges, car le rythme est extrêmement soutenu et on a peu de place pour les commentaires », souligne Jean-Marc Plumauzille, auteur de textes en audiodescription. Pour d’autres films, la difficulté peut être de restituer « des atmosphères » avec des mots.
Le travail des audiodescripteurs se fait tout en « finesse », il faut « faire des choix » pour éviter les commentaires « inutiles », explique-t-il. Car il y a déjà « tout un tas de sons dans le film, d’ambiances sonores, de musiques, qui vont vous renseigner sur les personnages, sur leur caractère, sur les atmosphères, sur les lieux. Et ces informations-là, il ne faut pas qu’on vienne les parasiter ».
Une jeune malvoyante, Margot, donne le mot de la fin. « Continuez, et bravo encore! »
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