Près d’Arcachon, une start-up relance la tradition du cuir de poisson

Près d'Arcachon, une start-up relance la tradition du cuir de poisson
AFP

Transformer de la peau de poisson en un cuir original, le maître-gainier Jean-Claude Galluchat l’avait fait au XVIIIe siècle pour la marquise de Pompadour. A La Teste-de-Buch (Gironde), une jeune entrepreneuse relance la tradition, avec pour objectif la création d’une filière, « du pêcheur au sac à main ».

Un cabanon d’ostréiculteur en guise d’atelier à La Teste-de-Buch, sur le Bassin d’Arcachon; un bureau dans la très branchée pépinière d’entreprises Darwin à Bordeaux : la start-up Femer lancée fin 2014 par Marielle Philip, 28 ans, assume la réunion de deux univers. Le monde de la mer, avec ses traditions, et celui de l’innovation engagée dans le développement durable et « l’économie circulaire ».

Avec l’espoir, à terme, d’y associer un troisième, le marché du luxe.

Tout commence en 2003, lorsque la mère de Marielle, Monique Philip, présidente de la Fédération nationale des femmes du milieu maritime, découvre en Laponie la tradition ancestrale du tannage de peaux de poisson.

Dix ans après, la jeune femme, diplômée en droit de l’environnement et en gestion des littoraux, reprend l’idée à son compte, bien décidée à trouver une activité sur son Bassin d’Arcachon natal. Elle part se former en Laponie et se lance dans l’aventure. « Il faut convaincre les gens qu’il ne s’agit pas d’une lubie », explique cette blonde pétillante. Une poissonnerie d’Arcachon et quatre mareyeurs-pisciculteurs du Bassin acceptent de lui fournir gratuitement sa matière première.

Des cuirs de poisson produits par la start-up Femer dans l'atelier de La Teste-de-Buch, en Gironde, le 7 juillet 2015

« Lorsque les poissonniers filètent les poissons, la peau finit à la poubelle », explique-t-elle. Ainsi, « il s’agit de remettre sur le marché des produits voués à être jetés » et, en parallèle, de « réduire les déchets sur notre territoire ».

Récupération de vieilles machines à « écharner » pour enlever les résidus de chair et d’écailles, tannage naturel à base de broyat de mimosas (et non de chrome, produit toxique et polluant, comme c’est le cas pour la plupart des cuirs), assouplissement manuel: la conception « éco-responsable » engagée par Femer nécessite des recherches permanentes.

Premiers constats, les peaux traitées naturellement n’ont aucune odeur, ne produisent pas d’allergie, ont une forte élasticité et, bien sûr, sont résistantes à… l’eau!

– Grains uniques –

Côté esthétique, le cuir marin avait déjà fait ses preuves en matière de séduction, rappelle Marielle Philip. Le gainier-maroquinier du roi Louis XV, Jean-Claude Galluchat (mort en 1774) sut le premier travailler la peau de la raie, donnant ainsi son nom – galuchat, un « l » ayant disparu au passage – à ce cuir perlé particulier. Il en recouvrait des objets rares dont raffolait Jeanne-Antoinette Poisson, marquise de Pompadour, maîtresse du roi.

Soucieuse de privilégier les « circuits courts », la jeune femme ne traite pas de raies, seulement des peaux de poissons pêchés localement: bars mouchetés, truites d’Aquitaine, soles, esturgeons… Au total, une dizaine d’espèces qui produisent « des grains de peau tout à fait uniques ».

Marielle Philip, à la tête de la start-up Femer, teint une peau de poisson dans son atelier de La Teste-de-Buch, en Gironde, le 7 juillet 2015

La production en est encore à ses prémices: 200 peaux ont été vendues depuis le mois de janvier, contre 10.000 peaux produites par semaine dans les ateliers de confection en Islande, au Brésil ou en Thaïlande, les principaux pays exportateurs.

Avec ses cuirs originaux, Marielle Philip souhaite à terme toucher les secteurs de la maroquinerie, de la chaussure, de l’ameublement. « Il faut susciter la demande, il y a tout un marché à créer », dit-elle, évoquant par exemple l’aménagement intérieur de bateaux de luxe ou les gants de golfeurs.

« C’est une nouveauté, cela peut intéresser les designers », confirme Camille Lambrecq, 31 ans, créateur à Bordeaux de la ligne de chaussures Someone Shoes, qui a réalisé un prototype de tennis en peau de truite. « Il y a un côté un peu vintage, on sent que la matière a vécu », s’enthousiasme-t-il, tout en reconnaissant que le positionnement ne peut être que « très haut de gamme, presque luxe » en raison du prix des peaux, autour d’une vingtaine d’euros.

Lauréate de plusieurs prix valorisant la création d’entreprise, Marielle Philip sait que le chemin est encore long pour consolider son projet. Dès 2016, elle mise sur une levée de fonds pour embaucher ses premiers salariés.

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