Mexique: des militaires et des drones pour protéger les oeufs de tortues
Dans la lumière rosée de l’aube, un drone surveille les oeufs enfouis dans le sable par des milliers de tortues venues pondre au cours de la nuit sur cette plage mexicaine de la côte pacifique, dans l’Etat de Oaxaca (sud).
Un peu plus loin, des militaires inspectent les alentours avec un même objectif: empêcher le vol des oeufs déposés par cette espèce en voie de disparition.
Pour neutraliser les voleurs, les autorités mexicaines ont décidé cette année de renforcer leur dispositif de surveillance en s’aidant pour la première fois de cette technologie.
Equipés de GPS et transmettant des images vidéos, les drones repèrent les pillards qui se cachent derrière les cactus qui bordent la plage pour dérober ces oeufs.
Ils servent aussi « à repérer les sentiers » empruntés par les voleurs, indique un des 20 militaires de la Marine mexicaine déployés sur cette plage, longue de 18 km, près de la ville de San Pedro Huamelula.
Mais certains pillards surgissent parfois aussi sur les plages en groupe, à cheval, une machette à la main et parfois même avec des armes, explique à l’AFP sous couvert d’anonymat ce militaire, allongé dans son hamac, après une nuit de garde sur la plage.
Il y a cinq ans, se souvient-il, environ 300 pillards armés ont envahi la plage. « Ca ressemblait à (la guerre de) Troie! »
Si le drone aide à repérer les voleurs, il sert aussi à les dissuader de commettre un forfait qui peut leur coûter jusqu’à 9 ans de prison et 200.000 pesos mexicains (environ 11.900 dollars).
Depuis le mois de juillet, une personne a été détenue et environ 14.000 oeufs ont été saisis uniquement à Morro de Ayuta et sur la plage voisine de Escobilla.
Ces deux plages forment à elles seules le lieu de ponte des tortues olivâtres le plus important au monde: jusqu’à 70.000 tortues peuvent venir y déposer leurs oeufs en une seule nuit, selon les autorités.
Dans cette zone de San Pedro Huamelula, les voleurs d’oeufs proviennent essentiellement de la population locale des ethnies Chontale et Zapotèque, qui traditionnellement les consomment et les vendent. Mais depuis 1990, le gouvernement a interdit ces pratiques.
– Soupe aux oeufs –
Malgré la surveillance, les pillards n’ont pas renoncé et tentent de dérober les oeufs au milieu de la nuit, lorsque ces drones dépourvus d’infra-rouges ne peuvent voler, indique Nereo García, responsable local du service de protection de l’environnement (Profepa).
Ces oeufs alimentent un commerce qui s’étend des marchés du village voisin de Juchitan jusqu’au quartier difficile de Tepito, dans la capitale mexicaine.
On prête à ces oeufs, qui ressemblent à des balles de golf, des vertus aphrodisiaques. Ils sont vendus seulement 30 pesos (1,7 dollar) la centaine. Dans les restaurants, la demi-douzaine d’oeufs cuits est proposée au prix de 60 pesos.
Un austère restaurant de Juchitan affiche à son menu une « soupe de poisson super-vitaminée », constituée notamment de palourdes, d’herbes pimentées et de deux oeufs de tortues, vendue 100 pesos.
« Ce plat se vend plutôt bien. Les touristes le consomme par curiosité » indique la serveuse de ce restaurant qui propose aussi des oeufs de tortue bouillis servis sur un lit de salade.
– Un « miracle » menacé –
Chaque année, entre juillet et mars, six des sept espèces de tortues marines existant dans le monde viennent pondre sur les côtes mexicaines, certaines venant du Japon.
Morro de Ayuta reçoit quasi exclusivement des tortues olivâtres, arrivant par dizaines de milliers pour venir creuser leur nid dans le sable où elles déposent environ 100 oeufs chacune.
Durant la saison 2014, plus de 1,1 million de tortues olivâtres sont arrivées au Mexique contre 994.338 l’année antérieure, selon des chiffres officiels.
Malgré ce progrès, les autorités ne veulent pas baisser la garde.
Car, outre les pilleurs, les oeufs sont aussi les proies des oiseaux et des chiens sauvages, et seulement 35% des oeufs parviennent au final à éclore après les 45 jours d’incubation.
Une fois nés, les bébés tortues doivent affronter les prédateurs tandis qu’ils gagnent la mer. Selon les experts, seul un sur mille atteindra l’âge adulte.
Mais la menace touristique pèse aussi sur cette espèce.
Eduardo Najera, directeur de l’ONG Costasalvaje, craint que des promoteurs immobiliers ne viennent bâtir sur la plage.
« S’ils voient cela, un lieu vierge, bien conservé, avec un potentiel de développement, ils vont vouloir construire des hôtels de 40 étages, un terrain de golf, un aéroport… et le miracle va se terminer », prévient Najera qui milite pour que cette plage soit déclarée « zone protégée ».
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