L’ultime escroquerie d’un policier américain: sa mort
La paisible bourgade de Fox Lake, dans l’Amérique des Grands lacs, a subi à neuf semaines d’intervalle deux chocs majeurs: le décès brutal d’un de ses policiers, tué en pourchassant vaillamment des criminels; puis l’annonce que ce héros national était en fait un escroc, qui a poussé le vice jusqu’à truquer sa propre mort.
L’affaire consterne depuis deux jours les Etats-Unis, car le lieutenant de police Charles Joseph Gliniewicz est parvenu à tromper tout le monde, de ses collègues jusqu’à de hauts responsables politiques, en passant par les médias qui lui ont tressé des couronnes.
Le 1er septembre au matin, ce vigoureux gaillard tatoué lance un bref appel radio depuis son véhicule de patrouille: il dit avoir repéré trois individus louches –deux Blancs et un Noir– dans une zone où ont été commis des actes de vandalisme. Il ajoute se lancer à leur poursuite.
Quand les renforts arrivent sur place, ils découvrent la voiture du lieutenant Gliniewicz en bordure d’un bois. Non loin gît l’officier de police de 52 ans, mortellement blessé par balles.
La victime a apparemment été projetée en arrière par un premier projectile qui a frappé son gilet pare-balle, un second tir un peu plus haut lui a été fatal.
Une gigantesque traque des trois suspects s’engage, avec des troupes d’élite épaulées par des moyens aériens.
Le fait divers suscite les gros titres, car il intervient moins de quatre jours après le meurtre près de Houston (Texas, sud) d’un autre policier.
Sans attendre, plusieurs responsables conservateurs mettent en cause un mouvement de défense des Noirs, Black Lives Matter, qu’ils accusent d’avoir ouvert la « chasse aux flics ».
Pendant ce temps, à Fox Lake, Charles Gliniewicz est célébré comme un brave, patriote et fédérateur tel que les aime l’Amérique. Une veillée se tient en sa mémoire. Les dons affluent pour sa famille. Les témoignages laudateurs s’accumulent dans la presse.
-Héros éternel-
D’imposants portraits du policier sont installés devant le commissariat, sur fond du drapeau des Etats-Unis. « Un héros ne meurt jamais », peut-on y lire.
Avec son franc sourire, ses yeux bleus sous un grand front, ses oreilles décollées et son nez orné d’un coup de soleil, Gliniewicz laissait assurément une impression d’honnêteté.
Ce spécialiste des théâtres criminels s’était d’ailleurs vu confier la gestion d’un programme promouvant la carrière policière auprès du jeune public.
Pour toutes ces raisons, ses obsèques attirent des milliers de personnes, dont des policiers en grand uniforme accourus d’aussi loin que Las Vegas (Nevada, ouest). Une procession funèbre se déroule sur une trentaine de kilomètres, survolée par des hélicoptères.
Gliniewicz, surnommé « GI Joe » car il avait servi dans l’armée, a droit aux honneurs militaires, aux cornemuses et aux 21 coups de canon.
Si le tohubohu retombe dans les jours qui suivent, l’enquête, elle, se poursuit discrètement.
Elle débouche mercredi dernier sur un coup de tonnerre: George Filenko, un commandant de police de l’Illinois (nord), annonce que Gliniewicz a « méticuleusement maquillé » son suicide en meurtre.
L’homme a, durant sept ans, siphonné le budget qui lui était alloué pour le recrutement des jeunes. Des milliers de dollars détournés dans des voyages ou des sites pornographiques. Sur le point d’être démasqué, l’agent « ripou » s’est retrouvé acculé.
Pour aboutir à cette conclusion, les enquêteurs ont écarté 430 fausses pistes, analysé 6.500 SMS effacés du smartphone de Gliniewicz, et 32.000 emails de son ordinateur.
-« Ultime trahison »-
Sur le lieu du pseudo-crime, la police scientifique a déployé les moyens les plus sophistiqués.
Gliniewicz avait pris soin d’agencer des éléments indiquant qu’il avait été agressé, disposant au sol sa matraque, ses lunettes, sa bombe à poivre dégoupillée.
Pour amortir sa première balle, il l’a tirée contre son téléphone portable, glissé dans son gilet de protection.
Mais il a commis l’erreur de ne pas avoir reproduit de traces de lutte sur lui et d’avoir tiré sa seconde balle en introduisant son arme sous son vêtement pare-balle, où ont été décelés des résidus de poudre.
« Durant des années, il a accompli des actes à l’opposé de l’image qu’il projetait », a commenté le chef Filenko, en dénonçant « l’ultime trahison » de l’officier véreux.
L’enquête n’est pas terminée. Jeudi, on apprenait que Gliniewicz avait cherché à engager un tueur à gages pour abattre la fonctionnaire municipale qui était en passe de révéler ses turpitudes.
A Fox Lake, l’amertume règne désormais chez les 10.000 habitants. Les pancartes lui rendant hommage ont été retirées, ou recouvertes d’inscriptions telles que « menteur », « voleur » ou « tu nous déshonores ».
Quant aux trois « suspects », ils existaient bien, ayant été aperçus au hasard et désignés par Gliniewicz. Interpellés et cuisinés par les enquêteurs, ils ont failli être les victimes innocentes de la suprême entourloupe de l’agent ripou.
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