L’île privée, dernier rêve d’évasion des Chinois fortunés

L'île privée, dernier rêve d'évasion des Chinois fortunés
AFP

A l’heure où le soleil se couche sur la mer de Chine méridionale, Lin Dong aime à se prélasser dans son hamac tendu entre deux arbres, en écoutant le doux clapotis des vagues qui viennent lécher le rivage de son île privée.

« J’ai horreur du bruit et la pollution atmosphérique des villes surpeuplées chinoises n’est pas non plus ma tasse de thé », confie le chef d’entreprise, qui a bâti sa fortune en vendant du matériel médical à la fin des années 1990.

« La vie sur une île me convient beaucoup mieux », poursuit le svelte quadragénaire à la barbiche poivre et sel.

Comme M. Lin, un nombre encore restreint – mais croissant – de riches Chinois ont acquis ou cherchent à posséder leur propre île, en quête d’évasion et d’exclusivité, à l’écart du développement frénétique des zones urbaines.

Lui-même a tout du pionnier: il a acheté la sienne en 2009, au large de la région autonome du Guangxi (sud de la Chine), profitant du grand flou qui existait autour de telles acquisitions foncières.

Un an plus tard, une loi autorisait l’achat d’un droit d’usufruit sur une île, mais avec un bail emphytéotique d’une durée de 50 ans.

Résultat, Lin Dong demeure très incertain quant aux perspectives à long terme de son bien, acquis avant 2010. « Je n’ose pas trop investir dans mon île, tout ce que je construirais pourrait bien être démoli », dit-il à l’AFP.

Par précaution, il s’est donc acheté une seconde île, entourée d’eau douce car située sur un lac. Une acquisition moins susceptible selon lui de faire froncer les sourcils des autorités communistes.

600 propriétaires îliens

Cet entrepreneur a fondé la première association en Chine de propriétaires d’îles, un club très select de 53 membres, en majorité masculins. Les locaux sont situés sur l’île Guanlong, sur une rivière qui traverse Canton, capitale de la province méridionale du Guangdong.

M. Lin estime qu’il y a au moins 600 propriétaires îliens en Chine. La plupart sont des sociétés ayant des projets dans le tourisme ou la pêche, et le reste, des personnes privées qui construisent des pavillons pour recevoir amis ou officiels du régime.

Souvent, il s’agit de gens qui « aiment la nature, la plage et écouter de la musique allongé sur le dos », assure-t-il.

Lin Dong, fondateur de la première association chinoise de propriétaires d'îles, le 1er mai 2015 à Guangzhou, dans le sud de la Chine

Comme Wang Yue. Cet avocat de 41 ans s’est offert une île inhabitée d’un kilomètre carré, à 40 kilomètres de la côte, au large de la mégalopole de Shanghai. « Sur mon île, quand il fait nuit, on peut voir un ciel rempli d’étoiles et la lune qui se lève à l’est. C’est un sentiment incroyable », assure-t-il.

Le mois dernier, Lin Dong a organisé le deuxième « Forum des propriétaires d’îles chinoises », en marge d’un salon commercial consacré aux produits de luxe, tels que voitures de sport, yachts et hélicoptères privés, dans sa province natale du Guangdong.

Pour l’occasion avait été créée une petite plage artificielle, arpentée par des mannequins en bikini et affublées d’ailes en plumes… avec le slogan: « Vous portez dans votre cœur le rêve d’un royaume privé ? Ce rêve est celui d’une belle île ».

La Chine compte 14.500 kilomètres de côtes et 7.300 îles de plus de 500 mètres carrés, toutes aux mains de l’Etat.

Mais la province orientale du Zhejiang a accueilli en 2011 sa première « vente aux enchères d’une île » inhabitée de plus de 2,5 hectares, acquise pour 20 millions de yuans (2,8 millions d’euros) par une entreprise.

Plusieurs autres provinces lui ont emboîté le pas.

M. Lin constate que les permis de propriété ont tendance à être attribués davantage à des entreprises qu’à des individus. « Nous espérons que le gouvernement va prendre des mesures pour nous soutenir, ou à tout le moins pour ne pas agir contre nous », confie-t-il.

Un million de millionnaires

Un homme d’affaires qui avait mis en location une île dans le Guangdong dans les années 1990 s’est retrouvé empêtré dans une longue bataille judiciaire après que le gouvernement local eut « invalidé » en 2012 ses droits de propriété.

Avec plus d’un million de millionnaires en dollars, la Chine compte un gros réservoir de clients capables de jouer les Robinson Crusoé de luxe.

Certains ont choisi d’acquérir un bien hors de Chine pour contourner les restrictions immobilières chinoises.

Selon la presse, la Chinoise Wendy Weimei Wu s’est offert une île en Nouvelle-Zélande baptisée Slipper, dotée d’une piste d’atterrissage et de maisons, pour 5,6 millions de dollars.

L’un de ses compatriotes a lui payé cinq millions de yuans (740.000 euros) pour une île aux Fidji adjugée lors d’une vente en ligne l’année dernière, durant laquelle une autre île, britannique, a été cédée pour quatre millions de yuans (580.000 euros), selon les médias officiels.

« La gestion d’îles privées est plus développée dans d’autres pays qu’en Chine », souligne Grammy Leung, un expert en nouvelles technologies âgé de 31 ans: pour 500.000 yuans (74.000 euros), il a acheté l’an dernier une parcelle de 1,6 hectare sur un lac de Nouvelle-Écosse au Canada, dont il dit tirer « un sentiment d’indépendance ».

« La Chine est notre marché le plus dynamique, mais pas le plus important », confirme Manuel Brinkschulte, directeur général pour la Chine de Vladi Private Islands, une société basée à Hambourg qui propose sur catalogue de petits paradis en Asie ou en Europe.

Alors que les acheteurs occidentaux satisfont « un plaisir personnel », les Chinois recherchent des îles pour faire « un investissement », dit-il.

Sur son smartphone, il fait défiler les photos d’un magnat chinois de l’industrie agroalimentaire accompagné par son épouse lors d’une récente tournée en Grèce. C’est finalement sur une île écossaise de 140 hectares, avec terrain de golf et petit hôtel, que l’homme a jeté son dévolu.

« Ce qu’ils apprécient là-bas, c’est que c’est l’opposé de la Chine: il n’y a pratiquement personne ! », relève M. Brinkschulte.

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