Le gourou d’une secte mis en examen sévit encore à Paris
Plus de quatre mois après la mise en examen de son gourou et de cinq de ses cadres, La grande mutation, une secte faisant miroiter à ses adeptes la vie éternelle, continue de sévir à Paris avec, sous son emprise, plusieurs dizaines de fidèles.
Vu de loin, le Groupement de recherche des énergies vibratoires éternelles et Supports vibratoires incorruptibles (Greve et SVI), l’autre nom de La grande mutation, pourrait faire sourire, avec sa communauté aux cheveux longs, son histoire fumeuse du double céleste et ses manipulations de pendule.
Mais derrière le vernis pittoresque se cache une puissante entreprise de sujétion, qui pousse ses adeptes au repli, à la coupure avec famille et proches, au don de plusieurs milliers d’euros par an et souvent au refus de la médecine moderne.
Au centre, Etienne Guillé, 78 ans, ancien biologiste et chercheur au CNRS qui se présente comme le sauveur, a bâti une théorie extrêmement complexe, appuyée pour partie sur une solide base scientifique qui donne du crédit à l’ensemble.
Il propose aux adeptes de renouer avec leur double céleste, condition de l’accession à la vie éternelle, en favorisant les vibrations de leur corps, notamment à l’aide d’un pendule.
« La première fois que j’y suis allé, je n’ai rien compris mais j’ai trouvé ça fascinant. Ça parlait d’éternité avec des références scientifiques », se remémore un ancien adepte.
Le contact direct entre les cadres de la secte et les adeptes revêt plusieurs formats: séminaires rassemblant jusqu’à 200 personnes, séances en comité restreint ou individuelles. En très mauvaise santé, Guillé est rarement présent.
On se rend aux réunions avec un chèque ou des espèces, confiées directement dans une enveloppe aux cadres de la secte.
La grande mutation ou le Greve n’ont pas d’existence légale, pas de statuts, et seule une partie des sommes collectées transite par le système bancaire.
– Familles disloquées –
A raison de quelques centaines d’euros par mois et par adepte, La grande mutation brasserait, selon une estimation basse, plus de 100.000 euros par an.
En perquisition, les enquêteurs ont saisi plus de 20.000 euros en liquide aux domiciles de cadres de la secte, selon une source proche de l’enquête.
Pour Me Rodolphe Bosselut, conseil de parties civiles, Guillé ne cherche pas tant à s’enrichir qu’à contrôler ses fidèles.
« Prendre l’argent des adeptes, il semble que ce ne soit pas la seule finalité. De là à dire que ce n’est pas un moteur… », tempère une proche d’une des membres.
Parmi les adeptes, beaucoup de femmes diplômées, souvent la cinquantaine ou la soixantaine, en quête de sens, rabattues par quelques professionnels de santé en région parisienne mais aussi en province.
L’implication dans La grande mutation induit un éloignement de la famille, régulièrement un divorce.
« L’une des forces de Guillé est d’avoir su théoriser le rejet des proches », explique Me Bosselut.
Ainsi, si les disciples font partie d’une race d’élus promis à la vie éternelle, les membres de leur cercle familial et amical sont présentés comme de simples animaux, voire des « prédateurs », à fuir.
« Vous avez des dizaines et des dizaines de familles qui ont été disloquées », assure un ancien adepte.
Après des signalements en 2012, une information judiciaire a été ouverte en octobre 2013. Fin mars, Guillé et cinq de ses lieutenants, dont son gendre et son petit-fils, ont été mis en examen pour abus de faiblesse et corruption de mineurs. Les rabatteurs, eux, n’ont, pour l’instant, pas été inquiétés.
La période visée remonte à 2006, mais plusieurs éléments laissent penser que Guillé sévit depuis le début des années 90, voire les années 80.
– « Préserver son être céleste » –
Bien qu’ils le réfutent, il apparaît que les cadres prônent le rejet de la médecine. La propre fille d’Etienne Guillé, atteinte d’un cancer dont elle devait décéder, avait refusé les traitements conventionnels pour « préserver son être céleste », selon une source proche de l’enquête.
Hémorragies, douleur à la jambe, problèmes dentaires, glaucome, voire cancer, sont susceptibles d’être traités par des ondes ou de l’eau « énergétisée ».
Sur le plan de la santé mentale, La grande mutation fait tout autant de dégâts. Plusieurs cas d’hospitalisation psychiatrique et un suicide ont été recensés chez des adeptes, sans que les causes ne soient établies avec certitude.
« On est à l’opposé de manipuler des individus », a soutenu le gendre de Guillé lors de son audition. « On leur offre plutôt un lieu et des moments où ils peuvent s’ouvrir sans doute à leur véritable identité, sans diriger quoi que ce soit, ni dans leurs pensées ni dans leurs actes ».
De sources concordantes, les mises en examen, pourtant assorties de contrôles judiciaires qui interdisent tout contact avec les adeptes ou les autres mis en examen, n’ont pas interrompu les activités de La grande mutation.
Mi-juin, un séminaire a encore été organisé dans un hôtel du sud de Paris.
Les familles de proches les plus actives contre la secte lancent un appel aux autres et les invitent à consulter le site www.grandemutationsansgourou.wordpress.com.
Sollicités par l’AFP, les avocats des principaux mis en examen (à l’exception de Guillé, qui a refusé de se faire assister) n’étaient pas joignables, pas plus que le gendre de Guillé, contacté à son domicile, où séjourne également le gourou.
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