Au Sénégal, des enfants apprennent le base-ball américain avec un Japonais

Au Sénégal, des enfants apprennent le base-ball américain avec un Japonais
AFP

Un Japonais qui enseigne un sport considéré comme typiquement américain au Sénégal, où foot et lutte dominent : ce n’est pas le scénario d’un film improbable, mais la réalité de Ryoma Ogawa, volontaire nippon et professeur de base-ball à Dakar, défiant barrière linguistique et manque de moyens.

Avec sa petite taille, son sac à dos et sa casquette à l’envers, Ryoma Ogawa, 24 ans, ressemble à un lycéen s’amusant avec une bande d’enfants et adolescents, entre lancers de balles, courses, sourires et fous rires à Ouakam, un quartier du nord de Dakar.

« C’est très intéressant », assure à l’AFP ce jeune homme originaire de Kanagawa près de Tokyo et portant un maillot estampillé « Yokohama », arrivé au Sénégal en janvier 2015 pour l’Agence de coopération internationale japonaise (Jica, qui déploie des volontaires dans ce pays depuis 36 ans).

Des enfants participent à l'un des cinq entraînements hebdomadaires de base-ball organisés par un coopérant japonais dans le nord de Dakar, le 13 juillet 2016

Depuis octobre 2015, il donne des cours de base-ball aux enfants. Les exercices se déroulent cinq fois par semaine sur une bande sablonneuse rectangulaire coincée entre un vaste terrain de football délimité par un muret surmonté de barreaux et des maisons basses et un immeuble ceints de hauts murs.

Chaque séance rassemble en moyenne « huit à dix gamins », confie Ryoma Ogawa, qui a cependant vu ses effectifs augmenter avec les vacances scolaires.

Au bord du terrain, de petits spectateurs s’amusent des dialogues entre l’entraîneur et ses élèves, mêlant anglais, français et wolof, une des langues les plus parlées au Sénégal. « Bene balle, encore bene (Une balle, encore une) ! », « C’est un strike ! »

« Il ne comprend pas bien le français, mais on peut discuter », raconte Kader Dème, un lycéen de 16 ans membre de l’équipe de Ouakam. « Quand il a du mal à prononcer un mot, on réfléchit à ce qu’il veut dire. On essaie de voir si c’est cela et on lui souffle le mot ».

Entraînement de base-ball sur un rare terrain de jeux encore disponible compte tenu de la popularité du football et de la lutte à Dakar, le 13 juillet dans un quartier populaire du nord de la capitale

Ryoma Ogawa, qui pratique le base-ball depuis l’âge de six ans, affirme qu’il se fait le plus pédagogue possible. « J’utilise aussi beaucoup les gestes », dit-il en français, cherchant longuement ses mots, avant de s’exprimer en japonais ensuite traduit par sa compatriote Megumi Chiba, coordinatrice des volontaires de la Jica, qui assiste à l’entretien.

En dix mois, il a vu certains enfants abandonner la batte au profit du ballon rond, « parce que le foot est très important ici ». Et c’est un adversaire encore plus redoutable quand il se joue sur le terrain voisin, avec des enfants ayant maillots et chaussures de sport, à l’inverse des petits joueurs de base-ball dont certains peinent même à s’offrir des sandales.

Pour ses cours, Ryoma Ogawa a récupéré des battes, gants en cuir et autres accessoires d’occasion qu’il apporte dans un sac mauve à chaque entraînement.

– De futurs ‘bons éléments’ –

« Pour un gant, il faut compter entre 15.000 et 20.000 FCFA (entre 23 et 30 euros). Pour la batte, ça peut aller jusqu’à 100.000 FCFA (152 euros) », une fortune dans un pays où le salaire minimum mensuel est inférieur à 37.000 FCFA (56 euros), révèle Ibra Kadam dit le « Gaucher », président de la Fédération sénégalaise de soft-ball et de base-ball, créée en 2000.

Des enfants jouent au base-ball sur un terrain de jeu improvisé, le 14 juillet 2016, dans le quartier défavorisé de Oukam, dans le nord de Dakar

Autres handicaps importants, déplore Ibram Kadam, l’absence d’appui des autorités, sans compter qu' »il n’y a pas de terrains » disponibles pour le soft-ball et le base-ball.

A Dakar, où résident près de trois des 13 millions d’habitants du Sénégal selon le dernier recensement officiel, les aires de jeux accessibles gratuitement se sont réduites comme peau de chagrin, les rares sites dans les quartiers étant sollicités pour le football ou la lutte.

D’après Megumi Chiba, de la Jica, Ryoma Ogawa est le troisième volontaire japonais à initier les enfants au base-ball au Sénégal. Une initiative saluée par Ibra Kadam, qui avoue que les Japonais ont ainsi contribué à développer ce sport et à le sortir de ses habituels lieux de loisirs d’expatriés américains et de leurs collègues sénégalais.

Parmi les petits batteurs, lanceurs et coureurs formés jusque-là, Ibra Guèye, 15 ans, est le plus doué de l’avis de Ryoma Ogawa et d’Ibram Kadam, des performances qui lui valent le poste de capitaine de l’équipe de Ouakam.

L’adolescent, maigre et timide, explique à l’AFP qu’il est assidu aux entraînements et s’exerce aussi tout seul. « Je veux devenir un professionnel, pour aider ma famille », explique-t-il, peu intéressé par les stars du base-ball, qu’il connaît à peine.

« Ces enfants-là, d’ici un an, deux ans, avec les moyens qu’il faut, avec un bon terrain, peuvent être de bons éléments » avec lesquels le Sénégal pourrait « surprendre du monde » en base-ball, assure Ibra Kadam.

Ryoma Ogawa, qui boucle son contrat de deux ans en janvier 2017, espère que les petits « vont continuer à s’entraîner même après (son) départ ». Et de préciser : « J’espère aussi les voir un jour au Japon » pour des matches.

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