Au Congo, la farandole des prénoms !
Sublime, Souffrance et Chinois ne se connaissent pas, mais ils auraient pu appartenir à la même famille en République démocratique du Congo, où des parents prénomment leur enfant avec de surprenants noms communs et adjectifs, ou encore de savoureux néologismes religieux.
Dans l’ex-colonie belge, les prénoms chrétiens sont répandus. Une tendance qui a parfois perduré en secret quand, au début des années 1970, le dictateur Mobutu Sese Seko (1965-1997) a lancé un processus de retour à l’authenticité africaine forçant l’abandon de ces prénoms.
Cependant, au côté des Marie, Joseph et autres Pierre, des nouveaux-nés ont pour nom des contractions ou compilations d’expressions bibliques. Morceaux choisis: Plamedi (Plan merveilleux de Dieu), Merdi (Merci Dieu ou Merveille de Dieu), Glodi (Gloire à Dieu), Promedi (Promesse de Dieu), « Dieuadonné », « Dondivin »…
Ce choix s’opère surtout quand les couples peinent à concevoir et que, finalement, après un mélange de prières et de traitements médicaux, ils parviennent à procréer, résume le Dr Olivier Kana, de la maternité de l’hôpital Monkole, à Kinshasa.
Le phénomène se serait accentué avec la prolifération des Eglises dites « du réveil », un courant revendiquant des « miracles » qui est né en RDC après son indépendance, en 1962, et qui concurrence l’Eglise catholique, dont se réclament 40% des 70 millions de Congolais.
Jumeaux « Précieux et Sublime »
A l’image d’autres Africains, des Congolais aiment par ailleurs donner à leur progéniture le nom de présidents, de leur employeur – parfois en espérant s’attirer ses bonnes grâces – ou de leur profession, afin de glorifier leur passé.
Les noms communs (Budget, Verdict, Jeunesse, Plante…) et adjectifs sont également prisés. Thérèse, une ménagère de 34 ans, a accouché de garçons jumeaux il y a près de trois ans: « Ils s’appellent Précieux et Sublime. Ils sont précieux pour moi, et j’espère qu’ils seront précieux pour la société! »
Plus récemment sont apparues des combinaisons associant le prénom des géniteurs, observe le Dr Kana. « Dernièrement, une femme, Esther, et son mari, Joël, ont nommé leur garçon +Joer+ ça arrive surtout chez les jeunes couples qui ont leur premier né », témoigne-t-il, amusé.
Une autre nouveauté demeure localisée dans l’est de la RDC, où depuis 20 ans des groupes armés locaux ou venus de pays voisins s’affrontent pour des raisons ethniques, économiques ou foncières.
« Le nom peut vous causer des problèmes ou vous sauver. Les gens ont pris l’habitude de ne plus donner les noms tribaux, de cacher l’identité réelle de l’enfant », affirme le Dr Justin Paluku, de l’hôpital Heal Africa de Goma, capitale de la province du Nord-Kivu (Est).
Selon l’article 58 du Code de la famille, « les noms doivent être puisés dans le patrimoine culturel congolais » et « ils ne peuvent en aucun cas être contraires aux bonnes moeurs ni revêtir un caractère injurieux, humiliant ou provocateur ».
Dans les faits, si des Congolais portent le nom, en langue locale, d’un mammifère puissant, comme le lion ou le léopard, d’autres sont baptisés Pigeon ou Caniche, ce qui suscite parfois de blessantes moqueries.
Les malheurs de Souffrance
Certains prénoms renvoient aussi à une expérience difficile et ont une connotation négative, ce qui, dans l’imaginaire, prédispose à une sombre destinée. Ferdinand, un habitant de Goma, cite le cas d’un homme appelé « Mateso », qui signifie « souffrance » en swahili.
« Selon son entourage, ce nom était à la base des malheurs qui se répétaient dans sa famille », comme ses filles enceintes hors mariage, la délinquance de ses fils, sa précarité professionnelle et sa maison détruite dans un incendie, précise le jeune homme de 29 ans.
En cas de gêne, un citoyen enregistré à l’état civil peut changer de nom mais « la crainte révérencielle des parents empêche les enfants, même adultes, (…) de procéder au changement », souligne Richard Bondo, avocat à Kinshasa.
Mateso a bravé le tabou mais, Chinois, 28 ans, juge qu’il est « déjà trop tard ». Ce journaliste de Kinshasa s’accommode donc de son nom, décerné après que des proches eurent trouvé qu’il ressemblait aux Chinois construisant un pont dans son village, au Sud-Kivu.
Pas toujours facile à gérer. Une radio locale l’avait rebaptisé « Bienvenu », considérant que « Chinois » sonnerait « un peu bizarre » à l’antenne. Et quand il se présente, les blagues fusent. Sa réplique? « J’exhibe ma carte d’électeur et je dis que je suis l’unique « Chinois » ici, en RDC! »
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