A Taïwan, « Papi Arc-en-ciel » fait de la résistance contre les bétonneurs

A Taïwan, "Papi Arc-en-ciel" fait de la résistance contre les bétonneurs
AFP

Huang Yung-fu accueille les visiteurs dans son minuscule village du centre de Taïwan les mains pleines des taches de peinture qui témoignent de son combat victorieux contre les promoteurs immobiliers.

A 93 ans, l’ancien soldat se lève tous les matins à 03H00 et passe quatre heures à dessiner sur les murs et les ruelles de son micro-village des figures aux couleurs vives, oiseaux, animaux mais aussi stars de la chanson et athlètes.

« Papi Arc-en-ciel » – son petit nom à Taïwan – a évité à ce regroupement de petites maisons d’être rasé par les bulldozers et le village s’est transformé en îlot de couleurs vives qui détonne dans un paysage urbain ordinaire.

Huang Yung-fu a mal à la jambe à force de peindre agenouillé à même le sol mais il continuera à dessiner les oeuvres murales qui assurent la survie du village.

« Nous avons reçu une lettre il y a cinq ans expliquant que le gouvernement voulait détruire le village pour construire quelque chose de nouveau. Ils disaient qu’on pouvait recevoir de l’argent ou être relogés », se souvient le vieil homme, très élégant dans sa chemise dorée et sa casquette bleu marine.

« Mais je ne voulais pas bouger. C’est la seule maison que j’aie jamais connue à Taïwan ». Il vit là depuis 37 ans.

Ce village situé dans la banlieue de Taichung comprenait jadis 1.200 maisons destinées aux vétérans de l’armée et à leur famille. Mais les maisons n’ont pas été rénovées et petit à petit, les promoteurs immobiliers sont arrivés avec leurs propositions: les habitants recevaient 2 millions de dollars taïwanais (54.000 euros) pour partir, ou un nouveau logement.

Lorsqu’il s’est retrouvé seul, entouré d’une dizaine de maisons vides, Huang Yung-fu a décidé de peindre. « Il n’y avait plus que moi et je m’ennuyais », dit-il. « Mon père m’avait appris la peinture à l’âge de cinq ans mais je n’en avais plus refait. La première chose que j’ai peinte, c’est un oiseau, c’était facile ».

– Un pan d’histoire –

Le hameau s’est retrouvé orné de dessins de chiens, de chats, d’avions, de célébrités, dont son favori, la légende du kung-fu Bruce Lee.

Des étudiants tombés sur son travail ont lancé une campagne pour sauver le village et c’est ainsi qu’il y a quatre ans, les autorités ont accepté de le préserver.

C’est désormais un aimant à touristes, avec un million de visiteurs chaque année, pour la plupart venus d’Asie.

« Le gouvernement m’a promis de préserver cette maison et ce village », dit l’ancien militaire. « J’étais si reconnaissant ». Les autorités veulent même le classer zone culturelle.

Une touriste se filme devant les oeuvres du vétéran
Huang Yung-fu dans le village de Taichung, à Taïwan, le 19 août 2015

« L’une des raisons de le conserver, c’est le tourisme, mais la raison principale, c’est que les villages de vétérans revêtent un intérêt très spécial pour Taïwan », dit Huang Ming-heng, secrétaire des affaires culturelles de Taichung.

« Malheureusement, la plupart d’entre eux ont été rasés alors c’est important de préserver cette mémoire historique ».

En cette journée étouffante de chaleur, des touristes de tous âges prennent des selfies devant les peintures murales.

« Ce sont des dessins étonnants qui méritent d’être préservés », commente Hsiao Chi, 19 ans, un étudiant de Taïpei.

« Les couleurs et les dessins sont très spécifiques », ajoute Ivy Ng, 30 ans, venue de Hong Kong avec sa famille.

– Des communautés qui se meurent –

Huang Yung-fu est originaire de Hong Kong. En 1946, il avait rejoint les rangs de l’armée du Kuomintang (KMT) pour combattre les troupes communistes en Chine continentale durant la guerre civile. Après la défaite en 1949, il a suivi le leader du KMT Chiang Kai-shek dans sa fuite vers Taïwan comme de nombreux autres soldats.

Ceux-ci avaient été relogés dans des centaines de villages réservés aux militaires, dans ce qui devait être une mesure temporaire, le temps que les nationalistes préparent leur contre-attaque.

Mais les communistes ont gagné la guerre et ces logements provisoires sont devenus permanents.

D’après le ministère de la Défense, bon nombre de ces villages ont disparu car les habitants voulaient des conditions de vie meilleures. Il n’en reste que 13.

Des touristes se font prendre en photo le 19 août 2015 dans le

Certains les regrettent. « Lorsqu’ils partent, les gens se sentent isolés », se désole Kang Han-ming, un ancien de la navale qui s’occupe des affaires florissantes du « Village Arc-en-ciel ». « Ils n’ont plus de racines. C’est pourquoi beaucoup de vétérans partis dans de nouveaux logements tombent malades ».

« Papi Arc-en-ciel » se plaît aujourd’hui à contempler les foules de curieux qui viennent voir son village. « J’aime leur parler, ils me disent que mes peintures sont belles. Je ne me sens jamais seul ».

Vous avez repéré une erreur ou disposez de plus d’infos? Signalez-le ici