À Kaboul, les food trucks aguichent la classe moyenne à coups de hot-dogs
Entre le fumet du diesel et le raffut des moteurs, on a connu mieux pour déjeuner, mais Mohammed est pressé. Alors va pour un burger acheté en bord de route au food truck Lazeez, premier du genre à Kaboul, qui vise la nouvelle classe moyenne afghane.
Assis dans sa voiture, Mohammed passe commande à Obaïdullah, l’homme-orchestre au tablier rouge à pois blancs qui fait office de chauffeur et de cuisinier dans ce camion-cantine garé sur une des rues les plus fréquentées de Kaboul.
Un gamin des rues amusé observe le food truck, orné d’un hot-dog et du drapeau afghan.
Ni la pellicule de pollution qui enveloppe l’hiver kabouli, ni ce saut dans l’inconnu que représente un mets dont il ne connaît pas la provenance ne rebutent Mohammed. « Nous, les Afghans, sommes immunisés contre toutes sortes de virus », plaisante cet étudiant en stomatologie.
« Lazeez » signifie « délicieux » en dari, l’une des deux langues de l’Afghanistan avec le pashto. De fait, le hot-dog au poulet y semble acceptable, tout comme le burger.
Pour Naveed Noori, qui a créé « Lazeez » avec son cousin Abdullah Karim, trouver de la viande sans rompre la chaîne du froid est un défi dans ce pays où l’hygiène alimentaire est déplorable: en Afghanistan, 60 enfants sur 1.000 meurent de diarrhée avant l’âge de 5 ans, selon l’ONG française Acted.
Aussi Naveed achète-t-il ses hot-dogs surgelés à Karachi, le grand port pakistanais situé à 1.400 km de Kaboul. « Il faut faire attention au temps de voyage et être sûr que tout se passe bien, sinon notre cargaison pourrit en chemin », explique l’entrepreneur de 26 ans à l’anglais limpide.
150 dollars de bénéfices par jour
Les six food trucks estampillés « Lazeez » sillonnent les rues de Kaboul depuis un an et demi. Au début, Naveed a dû expliquer aux curieux que ses tricycles motorisés remodelés en forme de hot-dogs, n’étaient pas des rickshaws, ce mode de transport très populaire en Asie du Sud, mais des fourgonnettes pleines de hot-dogs et de hamburgers.
Aujourd’hui, Naveed a 15 employés et ses affaires marchent. Il réalise un bénéfice de 150 dollars par jour, une fortune en Afghanistan où 72% des ménages gagnent moins de 150 dollars par mois et où les disparités sociales sont énormes.
Saïfuddin, balayeur, y trouve son compte. « Je suis employé municipal alors ils me font un prix. Je paye mon hot-dog 50 afghanis (moins d’un dollar) au lieu de 100. C’est quand même cher, parce que je gagne 6.000 afghanis (87 dollars) par mois et je dois nourrir 12 personnes », souffle-t-il.
« C’est sûr, je préfèrerais du riz et des plats afghans, mais ils n’en ont pas », ajoute-t-il.
Car même 14 ans après la chute du régime des talibans, qui avait banni toute influence occidentale, l’agneau, le mouton, le riz et leur cortège d’épices tiennent encore le haut du pavé gastronomique.
« Malheureusement, aucun food truck ne propose de nourriture afghane. Moi j’adore les ashaks », des raviolis fourrés aux légumes, regrette Nassir, un étudiant qui s’apprête à mastiquer un sandwich au poulet de chez « Manoto », un food truck concurrent de « Lazeez ».
Corruption aux hamburgers
La popularité, encore relative, des food trucks de Kaboul ne tient pas à leur offre culinaire – loin de celle alléchante des food trucks de New York ou de Paris – mais au très lent changement de mode de vie d’une classe moyenne émergente.
Quand elle n’émigre pas, cette dernière étudie, parle anglais et travaille pour des entreprises occidentales implantées en Afghanistan, dans des ONG étrangères, des ministères… et laisse derrière elle l’immense majorité de la population afghane, dont seuls 32% des adultes savent lire et écrire, selon l’Unesco.
Cette classe moyenne ouverte sur le monde, présente surtout à Kaboul, a une nouvelle exigence: la rapidité.
Idriss Atef, par exemple, est ingénieur en télécommunications et passe en coup de vent devant un food truck « Lazeez ». « C’est la première fois que je mange la nourriture d’un food truck. Je suis pressé, je n’ai pas le temps d’aller dans un restaurant, de m’asseoir, de commander », dit-il.
Si les food trucks percent doucement, l’Afghanistan est toutefois loin d’être le paradis pour entrepreneurs auquel veut croire le président Ashraf Ghani, un ancien économiste de la Banque mondiale.
Le regain des violences et la bureaucratie n’aident pas à créer un climat propice aux affaires, pas plus que la corruption. L’Afghanistan pointe à la 166e place sur 168 dans le dernier classement, publié mercredi, de Transparency international sur la perception de la corruption.
Naveed, le créateur de « Lazeez », en sait quelque chose: la police l’empêche régulièrement d’écouler ses hot-dogs, dit-il. « Ils ne savent pas ce qu’est un food truck, ni où nous pouvons nous garer. » Alors pour avoir la paix, le jeune entrepreneur a recours au bakchich, « sous forme d’argent ou de hamburgers ».
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