Voir Chinguetti et s’éblouir
Les facettes fascinantes du joyau mauritanien menacé par le sable. À découvrir ce mercredi à 20h50 sur France 5, avec le documentaire «Drôles de villes pour une rencontre».
Au cœur du désert du Sahara existe une oasis de culture. À celles et ceux qui l’ont vue apparaître comme un mirage dans le désert, il n’y a pas un superlatif, pas un élan poétique qui suffise pour traduire ce qu’ils ont ressenti. Chinguetti. Une pépite pétrie d’histoire et de culture pour les uns, une rose des sables qui fascine et intrigue pour d’autres… Plus sûrement que n’importe quelle image, leurs mots nous transportent sur les plateaux désertiques du centre-ouest de la Mauritanie. À la découverte de cette ville classée au patrimoine mondial de l’Unesco, suivons les guides.
L’histoire
«Parfois, alors qu’il n’espère plus rien du paysage inhumain où il trace lentement sa route, le voyageur aperçoit, posée comme un bijou sur la nudité vertigineuse du Sahara, une de ces roses de sable faites de silice blonde, nées du désert et de la caresse du vent.» (Odette du Puigaudeau, aventurière, lorsqu’elle découvre Chinguetti en 1935). Combien ont ressenti cette émotion depuis que cette ville existe ? Comme le rappelle Olivia Marsaud, spécialiste de l’Afrique, 777, c’est l’année retenue par l’Histoire comme étant celle de la création de la «première» Chinguetti. À l’époque, la localité ne porte pas encore son nom actuel, mais celui d’Aber, ce qui signifie «le petit puits» en arabe. Mais sa source finit par se tarir, le sable a raison d’elle : aujourd’hui, la cité initiale a complètement disparu. Près de 500 ans plus tard, en 1.264, une autre ville naît dans la même région. Elle prend définitivement le nom de Chinguetti. Idéalement située sur la route des caravanes, elle devient un nœud commercial entre l’Afrique du Nord et l’Afrique noire. La métropole prospère et attire de plus en plus de monde. Chinguetti prend une autre dimension.
Culture et religion
«Le désert du Petit Prince existe, avec ses étoiles et ses mystères, nous l’avons rencontré quelque part en Mauritanie.» (La Balaguère, site de voyages à pied et à vélo). Dès le XIIIe siècle, outre les commerçants, Chinguetti attire comme un aimant les érudits de toute la contrée et bien au-delà. Philosophes, mathématiciens, scientifiques… Beaucoup font le voyage vers elle et y laissent des écrits. En plein désert, c’est l’effet boule de neige : les bibliothèques se multiplient et le nombre de ceux qui viennent consulter les précieux documents qu’elles recèlent ne cessent de croître. Parmi ces documents, beaucoup de livres religieux retiennent l’attention des croyants au point de faire de Chinguetti la septième ville de l’islam sunnite. À cause de son ancienneté ? De l’impressionnante quantité de manuscrits ? Un habitant qui se confie à Olivia Marsaud détient une autre solution : «Ici, on mémorise tout le Coran dès l’âge de 9 ans.» Aujourd’hui encore, Chinguetti porte le surnom de «Sorbonne du désert» ou encore de «capitale spirituelle de la Mauritanie».
Le sablier
«Nous avons passé les trois derniers jours à désensabler les rues, puis visité cette belle bibliothèque. Dès l’entrée on a l’impression d’ouvrir une porte sur le temps. Merveilleux, que d’émotions.» (Témoignage d’un touriste). Chinguetti a compté jusqu’à douze mosquées. Il en reste une aujourd’hui. Quant aux bibliothèques, qui étaient encore une trentaine il y a un siècle, moins d’un tiers sont encore debout. L’époque où passaient des caravanes de milliers de dromadaires est révolue. Et puis, il y a le sable. Lentement, inexorablement, il submerge les murs de défense qui devaient protéger le ksar, la vieille ville fortifiée. Il envahit les ruelles écrasées de soleil aux murs ocre, monte à l’assaut du minaret surmonté de cinq œufs d’autruche en pierre. La volonté des habitants et les subventions ne suffisent pas à l’arrêter. «Le cadeau de l’Europe ? Des pelles et quelques brouettes», explique, amère, une habitante à un journaliste du quotidien français Libération. Le désert avance, ensevelissant les souvenirs de gloire et du lustre d’antan. Voir Chinguetti et s’éblouir ? Il ne faut plus tarder. Si rien ne change, pour Chinguetti, sa beauté, son passé, le grand sablier du temps n’aura pas de pitié.
Cet article est paru dans le magazine Télépro du 16/7/2020
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