Une pouponnière nazie au Pays de Herve !
Derrière le joli nom «lebensborn» («fontaine de vie») se cache l’une des plus terribles et secrètes institutions du III e Reich. Mi-maternité, mi-camps de reproduction, elle suscite encore bien des mystères, à l’image d’un château qui l’abritait en terre liégeoise…
Environ 22.000 enfants, victimes jamais reconnues, sont nés dans des maternités nazies dès 1935, placées sous le commandement d’Himmler : 9.000 en Allemagne, 10.000 en Norvège, quelques centaines dans d’autres pays occupés dont des dizaines en France et en Belgique. Qualifiées de haras humains et de bordels SS, ces pouponnières furent créées au nom de la pureté de la race aryenne d’abord en Allemagne, puis en Norvège et au Danemark où Himmler encourageait ses troupes à s’accoupler un maximum avec des «déesses» du Nord.
Les lebensborn garantissaient l’anonymat et la prise en charge des mamans. Les bébés nés des «unions temporaires» leur étaient enlevés et confiés à des organismes nazis. La plus célèbre de ses enfants est Anni-Frid Lyngstad, la chanteuse brune d’Abba, fruit d’une liaison entre une Norvégienne et un soldat du Reich.
Château de Wégimont
Centre de loisirs et de détente connu en province de Liège, le domaine de Wégimont (à Soumagne, Pays de Herve) a abrité en toute discrétion un lebensborn, sans doute de novembre 1942 à la fin de l’été 44. Il hébergea trois types de pensionnaires : de futures jeunes mères célibataires (belges, hollandaises, françaises…), des femmes convaincues par la propagande nazie venues concevoir, avec des soldats de passage, des bébés répondant aux critères aryens, et des compagnes de SS belges. Il apparaît dans les archives comme un sujet à problèmes.
Marc Hillel en parle, en 1975, dans son célèbre ouvrage historique «Au nom de la race» (éd. Fayard). «Selon les documents allemands, le personnel belge (sages-femmes, infirmières…) aurait tout fait pour saboter la production de petits aryens.» À Wégimont, les garçons bénéficiaient de prénoms faisant référence aux héros d’épopées guerrières nordiques, les filles de prénoms fleurant bon la respectabilité.
Douloureuse quête d’identité
Elle s’appelle Gisèle Niango. Née en 1943, elle s’appelait Gizela Magula. Jusqu’à ses 10 ans, elle pensait être la fille d’un couple de Jouy-sous-les-Côtes (Meuse française). «Des enfants m’ont dit que mes parents n’étaient pas les vrais. J’en ai parlé à ma mère. Elle m’a expliqué qu’elle m’avait adopté à l’hôpital de Commercy et que j’étais une orpheline de guerre», témoigne Gisèle dans l’Est républicain en 2019.
À la mort de sa mère adoptive en 2004, le hasard la met en relation avec un rescapé d’un convoi d’enfants qui lui annonce qu’elle est sans doute née dans un lebensborn. «C’est affreux de se dire qu’on est né au milieu de cette idéologie», dit-elle. Au bout d’années de recherches, la retraitée retrouve l’identité de sa vraie mère : une jeune hongroise, très pauvre, réfugiée à Wégimont où elle s’est retrouvée enceinte d’un Allemand. Si sa mère est décédée, Gisèle a gagné un demi-frère en Belgique qui ignorait tout. Comme d’autres enfants de Wégimont, elle avait été rapatriée par erreur à Commercy, en France.
Pour son livre «Lebensborn – La Fabrique des enfants parfaits», Boris Thiolay a enquêté sur ces enfants français et belges. «Ils se sont heurtés aux parois d’un dédale silencieux», écrit-il. «Mères honteuses, parents adoptifs non avertis, administrations inflexibles, archives allemandes détruites ou peu accessibles. Et des noms de famille parfois falsifiés pour brouiller les pistes. Je dispose d’une liste de 35 enfants nés à Wégimont mais non-inscrits sur les registres d’état civil. J’ai acquis la certitude qu’il y a eu entre 40 et 50 naissances.»
La pouponnière liégeoise est restée longtemps la seule connue chez nous. Fin 2012, grâce aux découvertes d’un fou d’histoire, Yves Louis, on apprenait que le domaine Nerom à Wolvertem (Brabant flamand) avait aussi servi de lebensborn. Quant aux principaux responsables jugés au procès de Nuremberg, aucun d’entre eux n’a été condamné. Pas de coupables, pas de victimes…
Cet article est paru dans le magazine Télépro du 10/9/2020
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