Un remake de film-culte ? Quelle horreur !
Le cinéma d’horreur compte ses maîtres en grands frissons (John Carpenter, Wes Craven, George A. Romero…), aux films souvent imités, rarement égalés. Exemple ce samedi à 22h20 sur La Deux, avec le remake de «Poltergeist».
Pourquoi réaliser un remake ? Une question de gros sous avant tout. «Vendredi 13» a coûté 19 millions de dollars en 2009 pour en rapporter 92 millions. L’original de 1980 avait bénéficié d’un budget de 700.000 dollars pour en engranger 59 millions. La saga compte jusqu’à présent dix remakes et suites en tous genre, avec quelques navets dans le lot.
En 2010, malgré des tonnes d’hémoglobine, le «Freddy : les griffes de la nuit» fait pâle figure face à l’original de 1984. Ce qui n’a pas empêché les producteurs d’empocher 61 millions de dollars pour 35 millions investis. Le seuil de rentabilité peut être très vite atteint.
Pour Laurent Creton, professeur en économie du cinéma à La Sorbonne, «ce genre ne nécessite pas d’avoir des acteurs vedettes pour créer des effets émotionnels puissants.»
Pas touche au culte !
La Deux programme deux films du genre : le remake par Gil Kenan du «Poltergeist» de Tobe Hooper (1982), sorti en 2015, et «The Thing» (le vrai, celui de 1982) de John Carpenter. Le premier conserve l’histoire originelle et la réactualise en détournant smartphones et autres tablettes. Le second s’est écrasé sur la déferlante en salles d’«E.T. l’extraterrestre» de Steven Spielberg.
Pourtant, ce huis clos tient une place particulière au cœur de Carpenter et de ses fans, au point d’obtenir le statut de film culte. À travers un Kurt Russel coincé en pleine tempête de neige avec un vicieux parasite, le réalisateur y joue habilement avec les nerfs du spectateur. Le remake sous forme de prequel, sorti en 2011, s’est lui aussi crashé au box-office, mais a, depuis, sombré dans l’oubli.
Esthétique uniforme
En comparant les remakes des années 2000 avec les originaux des années 1970 et 80 («La Colline a des yeux» et «Les Griffes de la nuit» de Wes Craven, «Massacre à la tronçonneuse» de Tobe Hooper, «Halloween» et «The Thing» de Carpenter, «Zombie» de George Romero…), David Roche, professeur en études cinématographiques à Toulouse, identifie deux points essentiels : l’uniformisation actuelle de l’esthétique (le jeu sur l’instabilité du point de vue, l’emploi du surcadrage, d’effets de sursaut, de gros plans pour souligner l’émotion et la violence, le montage frénétique renforcé par une caméra mobile pour les scènes d’attaque) et la domination comme modèles des slashers, sous-genres du cinéma d’horreur.
«Conséquences : l’homogénéisation donne lieu à une esthétique pas toujours cohérente avec la figure de l’horreur représentée et les remakes proposent moins de variantes que les originaux», explique David Roche. Sans oublier qu’une partie des originaux, dotés de petits budgets, a très mal vieilli et n’affole plus le rythme cardiaque.
Au goût du jour
Son homologue australien Valentin Ververis, auteur d’une étude sur le sujet, note que les producteurs s’appuient sur la notoriété des films d’horreur en tenant un discours équivoque. «Ils parlent souvent avec enthousiasme des qualités intemporelles et du statut de «classique» de l’original avant d’insister sur la valeur ajoutée que confèrent leurs transformations.»
Le remake est alors vendu comme meilleur que l’original grâce aux qualités techniques, à une remise au goût du jour, avec un côté parfois plus gore… À la fois fidèle à l’original et innovante, proposant une relecture moderne, une poignée de remakes a de la suite dans les idées. Les critiques de cinéma citent souvent en exemple la série des «Halloween» de Rob Zombie. Le réalisateur a choisi d’explorer en profondeur le passé et la psychologie du célèbre tueur Michael Myers. Et comme on aime avoir peur tout en sachant que c’est pour de faux, le cinéma d’horreur a encore de glaçantes nuits à offrir à ses adeptes.
Cet article est paru dans le magazine Télépro du 11/6/2020
Vous avez repéré une erreur ou disposez de plus d’infos? Signalez-le ici