Trianon, le traumatisme hongrois

Le 4 juin 1920, la délégation hongroise est contrainte de signer le traité de Trianon qui ampute le pays des deux tiers de son territoir © Arte/National Film Institute Hungary
Stéphanie Breuer Journaliste

À l’issue de «la Der des Ders», la Hongrie perdait deux tiers de son territoire.

Si, pour nous, Trianon évoque surtout un château du domaine de Versailles, voire un gâteau pour les plus gourmands, ce nom est, pour les Hongrois, synonyme d’injustice et de déchirement. Car il y a plus d’un siècle, la Hongrie était contrainte de signer le traité de Trianon qui, encore aujourd’hui, attise les tensions en Europe centrale.

Le 11 novembre 1918, l’Armistice sonne la fin de la Première Guerre mondiale. Quelques mois plus tard, les puissances victorieuses se réunissent à Versailles pour discuter du sort des vaincus, pourtant absents des discussions ! L’objectif ? Morceler les quatre grands empires défaits – allemand, austro-hongrois, russe et ottoman – au profit de petits États nationalistes.

Tour à tour, des textes sont ratifiés dans différents châteaux de la région. Après l’Allemagne et le fameux traité de Versailles, vient le tour de l’Autriche-Hongrie des Habsbourg, alors en pleine dislocation. L’Autriche voit son sort réglé par le traité de Saint-Germain-en-Laye et la Hongrie par celui de Trianon que la délégation signe, non sans protester, le 4 juin 1920.

Perçu comme un «diktat»

Le pays d’Europe centrale est amputé de deux tiers de son territoire au profit de ses voisins (Tchécoslovaquie, Roumanie, Yougoslavie…). En plus de grandes villes, il perd des ressources naturelles (minières notamment) et son accès à la mer, le privant ainsi du commerce maritime. D

u jour au lendemain, plus de trois millions d’habitants magyarophones, soit un tiers de la population, se retrouvent hors des frontières et reçoivent une nouvelle nationalité. Bafouant le «droit des peuples à disposer d’eux-mêmes», ce traité n’inflige pas seulement une sanction symbolique, mais aussi économique et démographique.

«À la fin de la guerre, tout s’est passé comme si la nation hongroise – non pas l’État, mais la nation – était la principale responsable de la guerre», explique l’historien Áron Máthé dans le documentaire. «Le point le plus douloureux pour nous dans le traité de Trianon est que, depuis, la Hongrie est considérée comme un pays de seconde zone.» Une déchéance perçue par beaucoup comme une humiliation, un «diktat».

«Plus jamais ça !»

«Les drapeaux officiels en Hongrie restèrent en berne jusqu’en 1938 et les slogans «Nem, nem, soha !» («Plus jamais ça !») et «Mindent vissza !» («Rendez-nous tout !») devinrent les leitmotivs de la politique extérieure hongroise pendant tout l’entre-deux-guerres», écrit Roman Krakovsky dans L’Histoire.

Au pouvoir, l’amiral Miklós Horthy n’a qu’un seul but : récupérer les territoires perdus. Et pour cela, l’autoproclamé Régent se rapproche de Mussolini et Hitler. Certes, il recouvre certaines provinces, mais les Juifs de Hongrie subissent de plein fouet les conséquences de cette politique. Et, après 1945, la Hongrie, vaincue, est de nouveau ramenée à ses frontières du traité de Trianon.

Jusqu’à la fin du XXe siècle, les réclamations se font plus discrètes, mais le traumatisme national ne s’efface pas pour autant. Le Fidesz, le parti au pouvoir, en a fait un pilier de sa politique. En 2010, un passeport hongrois – et un droit de vote – est accordé à sa diaspora dans les pays voisins.

Et l’été dernier, le Premier ministre Viktor Orbán a commémoré les cent ans du traité en inaugurant un monument symbolisant l’unité de tous les Hongrois. «Ce traité a profondément endeuillé notre pays», s’est-il exprimé. «Il a redessiné les frontières d’Europe centrale, comme cela avait été fait en Afrique et au Moyen-Orient. Nous ne l’oublierons jamais.»

Cet article est paru dans le Télépro du 17/6/2021

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