Tchernobyl, 35 ans… Et après ?
Au printemps 1986, la plus grande catastrophe du nucléaire civil secouait l’Union soviétique et le monde. Retour sur un désastre.
Samedi 26 avril 1986. Une délégation d’assureurs belges est en URSS. Le Liégeois Roger Jodogne en fait partie. «Nous étions en visite en Union soviétique pour une dizaine de jours», se souvient-il. «Après une escale à Moscou, nous avions pris un vol intérieur vers Saint-Pétersbourg». Au programme : rencontre avec des collègues locaux et visite d’un musée. Tous ignorent qu’une tragédie se joue à 1.100 km de là…
En pleine nuit, à 1 h 24, le réacteur n°4 de la centrale nucléaire ukrainienne de Tchernobyl a explosé. La nouvelle s’ébruite peu, les autorités communiquent au compte-goutte des explications parcellaires. Trois jours plus tard, la presse occidentale qualifie de «discrètes et ambiguës» les infos en provenance d’URSS. Les articles et les reportages parlent désormais d’«accident grave». Les assureurs belges, eux, ne sont au courant de rien. «Ce n’est que le 4 mai, lorsque nous sommes revenus à Moscou que les premières nouvelles nous sont parvenues… en provenance de Belgique !»
Plus grande catastrophe
Il faut en effet attendre près d’une semaine pour voir le mot «catastrophe» à la Une des journaux européens. Les rédactions ne disposent pas de précisions sur ce qui se passent réellement à Tchernobyl, mais au moins deux éléments laissent présager le pire. Des taux de radioactivité records enregistrés notamment dans les pays scandinaves et en Allemagne, et un SOS lancé par les autorités soviétiques. Moscou appelle à l’aide les experts nucléaires occidentaux. Cet aveu d’impuissance exceptionnel en dit long sur leur détresse.
824.000 décès en 15 ans
En réalité, il s’agit de la plus grande catastrophe nucléaire civile jamais enregistrée. Elle se traduit par un bilan humain dont les chiffres font encore débat. Le plus marquant reste celui d’une étude russe publiée en 2007 par l’Académie des sciences de New York. «Près de 824.000 décès dans le monde entier sont dus à Tchernobyl rien que durant les 15 années qui ont suivi l’accident.» Un chiffre qui, selon les trois auteurs de l’étude, était encore amené à croître «pendant plusieurs générations».
Témoin éloigné de l’événement, Roger Jodogne se souvient. «J’ai acheté l’édition française des Nouvelles de Moscou le 4 mai. C’est mon anniversaire. (Rires) Il n’y avait aucune info concernant Tchernobyl. Le soir, mon épouse m’a appelé et m’a mis au courant en me demandant ce qu’il se passait et s’il n’y avait pas de danger pour moi.» Le lendemain, lorsqu’il interroge les traducteurs accompagnant la délégation, leur réponse fuse : «C’est de la propagande antisoviétique occidentale. Il ne se passe rien. Vous n’avez aucun souci à vous faire».
Vérité niée à l’Ouest aussi !
«Tchernobyl par la preuve», le dernier ouvrage de l’historienne américaine Kate Brown, est aux antipodes du «petit bout de la lorgnette» de notre témoignage belge. Cette spécialiste de l’environnement y relate les résultats d’une enquête minutieuse menée sur deux fronts. Sur le terrain d’abord. En Russie, Ukraine et Biélorussie, elle rencontre des médecins, scientifiques, survivants… qui racontent leur quotidien.
Dans les archives du ministère soviétique de la Santé ensuite. Première historienne occidentale à y avoir accès, elle livre les résultats de dix années d’enquête. Résultat ? Montrer l’étendue du désastre mais aussi les actions entreprises pour dissimuler la vérité et convaincre la communauté internationale et l’opinion publique de l’innocuité des retombées radioactives. Selon Kate Brown, au-delà de ce qui s’est passé à l’intérieur des frontières de l’URSS, «plusieurs États occidentaux, des agences de l’ONU, des diplomates internationaux et scientifiques associés à l’industrie nucléaire ont éludé, voire nié l’existence d’une catastrophe sanitaire de grande échelle». À son retour, la petite délégation belge a été testée au compteur Geiger à l’aéroport. Le taux de radioactivité de chacun était nettement supérieur à la normale. «L’un des membres est décédé d’une leucémie trois ans plus tard. Mais rien ne prouve qu’elle était de type Tchernobyl», conclut notre témoin…
Cet article est paru dans le magazine Télépro du 22/4/2021
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