Sagrada Família : le défi de Gaudí

«Quand on entre dans la Sagrada Família, on a la sensation d’être dans une forêt de colonnes...» © Getty Images

Le réalisateur Marc Jampolsky s’attaque au chef-d’œuvre de Gaudí toujours en chantier, dans une enquête enrichie d’une reconstitution en 3D de l’atelier du maître, détruit en 1936 par un incendie. Entretien.

Marc Jampolsky, en quoi les choix esthétiques et les procédés techniques de Gaudí sont-ils novateurs à la fin du XIX e siècle ? Dès ses débuts, Gaudí utilise une foule de références qui ne lui viennent pas tellement de voyages, mais plutôt de livres, d’images qu’il brasse. Ce qui est assez fascinant chez lui, c’est la liberté totale qu’il se donne d’assembler des styles d’époques et de lieux différents. Il développe ensuite son propre univers par l’ajout d’éléments en résonnance avec la nature, une source d’inspiration très forte pour lui. Dans son architecture, le décor est intrinsèquement lié à la conception du monument, il fait partie de la structure elle-même. Pour la colonie Güell, une cité ouvrière près de Barcelone, Gaudí imagine une église dont les colonnes sont penchées selon un angle qui leur permet d’absorber toutes les poussées horizontales. Reprenant cette idée pour la Sagrada Família, il l’adapte avec une disposition en arborescence. Lorsque l’on entre dans l’édifice, on a la sensation d’être dans une forêt de colonnes.

Si Gaudí était vivant aujourd’hui, reconnaîtrait-il la basilique dont il avait rêvé ?

Je ne pense pas qu’il se dirait : «Ce n’est pas du tout ce que je voulais faire.» Mais plutôt : «C’est très bien que cela ait continué.» Les successeurs de Gaudí essaient de rester dans la même logique que lui ; même si l’ajout des sculptures de Josep Maria Subirachs, en rupture avec le style Gaudí et réalisées entre 1987 et 2005 sur la façade de la Passion, a créé une polémique. Néanmoins, cela s’inscrit dans l’histoire du lieu, comme c’est souvent le cas pour les grands bâtiments. Notre-Dame, par exemple, est constituée d’un empilement de styles d’époques différentes.

Dans votre film, vous suivez la méticuleuse reconstitution en 3D de l’atelier de Gaudí par une équipe de modélisateurs. Pour quelles raisons ?

Ce qui fait partie des coulisses, c’est-à-dire ce qu’on ne voit pas habituellement dans les films, m’intéresse. Pour aboutir à une représentation exacte, des spécialistes doivent enquêter et faire parler les archives. Dans la longue histoire de la Sagrada Família, qui a débuté en 1882 et qui perdure encore, il y a eu un tournant : l’incendie de l’atelier de Gaudí, en 1936, au sein duquel se trouvaient de précieux documents en rapport avec l’édifice. S’il n’avait pas eu lieu, son chantier aurait peut-être avancé beaucoup plus vite. Cet atelier nous a paru être un vrai lieu d’exploration pour comprendre la manière dont Gaudí travaillait. À force de créer des maquettes et de bricoler, il opérait exactement comme si la 3D avait existé en son temps : il testait sa structure en réel comme le fait aujourd’hui un logiciel de conception assistée par ordinateur. Ce qu’entreprennent aujourd’hui ses héritiers, avec ces outils numériques-là, est dans la parfaite continuité de la méthode de Gaudí.

Cette modélisation en 3D a servi de décor pour les scènes de fiction tournées devant un écran numérique. Quels avantages ce système présente-t-il ?

J’ai les fonds verts en horreur ; ils obligent à indiquer aux acteurs où se trouvent les éléments dans la mise en scène. Ils impliquent aussi un important et lourd travail de postproduction et d’intégration. L’écran numérique permet d’obtenir le même résultat mais avec un retour en temps réel. Il présente aussi l’avantage d’éclairer à lui seul le plateau. C’est un progrès pour mon équipe et moi.

Cet entretien de Lise PONTOIZEAU est paru dans le Télépro du 14/04/2022.

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