Rouge à lèvres : l’insolent bâton
Ce vendredi à 22h30 avec «Sur nos lèvres, rouge un jour, rouge toujours ?», La Une propose de porter un autre regard sur ce cosmétique qui, au fil de l’Histoire, fut à la fois symbole de rébellion et de soumission à des normes.
Si son utilité esthétique est évidente, la force politique du rouge à lèvres l’est moins. Et pourtant, au fil des décennies, le petit bâton rouge a accompagné bien des révolutions. Qu’on le porte par tradition, par mode ou par provocation, l’histoire de ce cosmétique en dit plus sur notre société que l’on pourrait le penser.
Art ancestral
Les Sumériens, peuple antique évoluant dans l’actuelle Irak, sont considérés comme les premiers à avoir confectionné ce qui était alors une pâte à base de plomb, de pierres précieuses et d’insectes, destinée à peindre les lèvres.
En Égypte, Cléopâtre fait figure d’influenceuse, en mettant au point sa propre recette composée de cochenilles et d’œufs de fourmis, afin d’obtenir un joli carmin.
Du côté de la Grèce, par contre, le rouge à lèvres acquiert déjà une réputation sulfureuse et est assimilé aux prostitué(e)s qui s’enduisent les lèvres de mûres écrasées.
Plus tard, au Moyen Âge, se peindre le visage est perçu comme une défiance envers Dieu. Le rouge à lèvres est dès lors interdit.
Début timide
Il faut attendre la fin du XIXe siècle pour qu’il fasse lentement son apparition dans l’espace public. On le considère alors toujours réservé aux femmes de petite vertu mais aussi aux artistes. «En France, grâce à l’actrice Sarah Bernhardt, qui se peignait les lèvres en permanence, porter du rouge devint une déclaration d’indépendance et d’audace», détaille le magazine L’Officiel, spécialisé dans la mode.
Les grands magasins vont peu à peu le proposer. Une commercialisation rendue possible par l’inventeur américain Maurice Lévy. «Ce dernier crée un cylindre en métal muni d’un petit levier qui permet de sortir une barre de rouge à lèvres, puis de la remettre dans son logement protecteur. Il met ainsi un terme à l’application au doigt ou au pinceau du pigment enveloppé dans du papier.»
Rouge résistance
En 1912, le mouvement des suffragettes s’empare de la rue et réclame le droit de vote pour les femmes. «À New-York, vingt-mille suffragettes défilent», raconte le documentaire de La Une. «Selon la légende, lorsque le cortège passe sur la 5e avenue, Elizabeth Arden (ndlr : qui deviendra une femme d’affaires influente dans l’univers des cosmétiques) sort de son salon de beauté pour distribuer des bâtons de rouge aux suffragettes. Le petit objet infuse le mouvement pour devenir un symbole d’émancipation.»
Durant la Seconde Guerre, Hitler fait savoir qu’il déteste les «femmes peintes». Il interdit à son entourage d’en porter et étend son injonction à toute la population allemande. Le rouge à lèvres se mue alors en symbole de résistance contre le régime nazi.
Sur le sol européen, il n’est pas rare de voir des femmes de soldats partis au front en porter fièrement. «Aux États-Unis, le rouge à lèvres devient aussi un signe de provocation vis-à-vis de l’ennemi», explique Régine Dubois, sur La Première. «Le rouge à lèvres fera même partie de l’uniforme obligatoire des femmes engagées dans l’armée.»
Après la guerre, porter ou non du rouge à lèvres sera souvent le reflet d’une prise de position sociétale ou d’une affirmation de sa personnalité. «Dans les années 1960, le tube coloré sera banni par les féministes qui y voient un symbole de soumission, il fera partie des objets à proscrire pour s’émanciper. La décennie suivante verra la couleur du rouge s’assombrir jusqu’au noir pour accompagner le mouvement punk et contestataire.»
Fashion victime
Alors qu’il n’avait jamais connu la crise, pas même en 1929, le covid et ses masques ont eu raison, un temps, du rouge à lèvres. Chez nous, au début du confinement, les ventes du bâton ont chuté en moyenne de 40 %. Ce qui ne signe bien sûr pas son arrêt de mort : à la mi-mars de cette année, au moment où les restrictions contre le covid étaient levées dans l’Hexagone, les ventes de rouge à lèvres ont bondi de 35 % en une semaine à peine !
Cet article est paru dans le Télépro du 22/12/2022
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