Quand les médicaments antidouleurs font mal

Les opioïdes sont au cœur d’un véritable trafic et concernent plus d’un million de patients belges © France 5

Surconsommation, dosages inadaptés : la dépendance fait des ravages. Ce mardi à 20h50 sur France 5, «Enquête de santé» consacre un documentaire au sujet.

Une opération banale à la main, des complications inattendues, des douleurs insupportables qui se répandent dans le bras : en quelques jours, la vie d’Éric et de sa famille vient de basculer. Pour apaiser le mal, le trentenaire prend neuf médicaments par jour. Un cocktail composé d’antiépileptiques, de somnifères et surtout d’opiacés, de puissants antidouleurs censés le soulager. Rien n’y fait. Le mal le ronge, l’empêche de dormir.

La galère dure un an et demi, jusqu’au jour où, par hasard, il se rend compte qu’il est devenu totalement dépendant aux opiacés. «J’ai oublié de prendre mes antidouleurs», se souvient-il. «J’ai fait une véritable crise de manque, comme un junkie. J’ai dû être hospitalisé d’urgence.»

Éric est pris en charge par la clinique de la douleur, les médecins trouvent une solution et, enfin, il retrouve une vie presque normale et sans médicament quelques semaines plus tard. Pour ce rescapé de la dépendance aux antidouleurs qui se confie à la télévision suisse, tout est bien qui finit bien. Tout le monde n’a pas cette chance.

Most Wanted

Aux États-Unis, les autorités sanitaires de la Food and Drug Administration estiment que la surconsommation d’antidouleurs est responsable de 56.000 hospitalisations et de cent morts chaque année. Pour le média indépendant en ligne The Conversation, les chiffres sont d’une toute autre ampleur. Selon lui, le nombre de décès attribuables aux médicaments à base d’opiacés dépasse les 200.000 entre 2002 et 2015 aux USA.

La revue Prescrire publie une liste de sept médicaments antalgiques de la famille des anti-inflammatoires non stéroïdiens plus dangereux qu’utiles. Les uns (les coxibs et les AINS) exposent davantage le patient à des accidents cardiovasculaires, type infarctus du myocarde, thromboses, insuffisances cardiaques. D’autres augmentent les risques d’eczémas ou de troubles digestifs. Concernant le paracétamol par contre, la même revue le qualifie «d’antalgique de premier choix, efficace dans les douleurs modérées et présentant peu de danger quand sa posologie est maîtrisée».

L’enquête belge

Chez nous, en 2018, l’Inami décide aussi de mener l’enquête. Celle-ci le conduit sur la piste de cinq opioïdes morphiniques «à l’usage inquiétant». Les enquêteurs découvrent qu’à eux seuls, ces cinq médicaments représentent «80 % de l’usage total de tous les opioïdes remboursables par l’assurance soins de santé belge entre 2006 et 2016».

Les chiffres dévoilés par l’institut sont effrayants. Le nombre de patients auxquels les pharmaciens ont délivré un de ces produits est passé de 638.939 en 2006 à 1.186.943 en 2016. Et ce n’est pas tout. Au final, c’est un véritable trafic que l’enquête décrit. Certains utilisateurs d’opioïdes font du «shopping médical» : «Ils demandent des prescriptions à plusieurs médecins et/ou se procurent les médicaments dans plusieurs pharmacies. Ni les prescripteurs, ni les pharmaciens ne s’en rendent compte, et ignorent donc ce que leurs patients se font prescrire ou se procurent chez un autre dispensateur.»

Certains n’hésitent pas à recourir à des dizaines de médecins et de pharmaciens différents pour s’approvisionner. «Ceci indique clairement un usage impropre de leurs opioïdes», conclut l’Inami.

Au-delà de la douleur

Les ravages provoqués par l’accoutumance à ces substances sont considérables. Plutôt que d’apaiser la douleur, la surconsommation l’exacerbe, entraînant davantage de consommation. Un cercle vicieux avec des conséquences pour la santé, mais aussi des augmentations des dépenses pour les assurances couvrant les incapacités de travail ou les frais en médicaments. Sans parler de l’impact des trafics décrits sur les chiffres de la criminalité.

Comprendre le pourquoi de sa dépendance, prendre de nouvelles habitudes : au bout du parcours, le sevrage ne se fera pas non plus sans mal. Il n’y a pas de produit miracle pour l’atténuer.

Cet article est paru dans le magazine Télépro du 17/9/2020

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