Quand les hommes s’approprient les inventions des femmes

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Ces femmes ont eu une idée brillante. Un homme la leur a volée. Et a tenté de réécrire l’Histoire…

De tout temps, de nombreux hommes se sont attribué le travail, les idées, les inventions de femmes, comme le montrent les documentaires « Succès volés » d’Arte (jeudi à 11.15). Découvrons le portrait de quelques-unes de ces victimes spoliées.

Elizabeth Magie, fin de partie

C’est un classique des jeux de plateau : le Monopoly. Derrière lequel se cache, apparemment, un vrai « American Dream ». Années 1930 : en pleine dépression économique, Charles Darrow n’a ni travail, ni avenir. Mais une invention sous le bras, qu’il présente au fabricant de jeux Parker Brothers. Carton plein ! Comme dans le jeu, Charles devient millionnaire. Une histoire, longtemps imprimée dans la boîte du jeu… Sauf que Charles n’a rien inventé !

Elizabeth Magie © DR Wikimedia

L’idée revient à une militante féministe, Elizabeth Magie. En 1903, elle dépose le brevet du « Landlord’s Game », « le jeu du propriétaire foncier », proposant deux fonctionnements : un collaboratif, dont tout le monde sort vainqueur, et un individuel, où une seule personne gagne alors que les autres font faillite. Son but est de faire réfléchir à la société dans laquelle les propriétaires immobiliers s’enrichissent sur le dos des locataires. Triste ironie, c’est la version capitaliste de Darrow qui remporte la partie en lui rachetant les droits pour 500 $.

Lise Meitner, Nobel atomisé

Selon Futura-Science, elle est « l’un des plus célèbres ratés du comité Nobel ». Il faut dire que Lise Meitner ne partait pas avec toutes les chances de son côté : femme scientifique et autrichienne juive dans une université allemande en 1938… Obligée de travailler dans les sous-sols, gratuitement, c’est pourtant elle qui dirige les recherches menées avec le chimiste allemand Otto Hahn et son assistant Fritz Strassmann pour le « projet uranium ».

Lise Meitner © ullstein bild via Getty Images

Bien qu’elle doive fuir Berlin pour se réfugier en Suède, elle continue de correspondre avec Otto et de lui indiquer comment procéder aux expérimentations. Si c’est elle qui parvient à interpréter le phénomène de la fission nucléaire (la séparation du noyau d’un atome en plusieurs noyaux plus légers), c’est Hahn qui reçoit le prix Nobel de chimie en 1944. La découverte de la fission nucléaire a conduit à des travaux pour la mise au point de la bombe nucléaire auxquels Lise, pacifiste convaincue, a refusé de travailler.

Jocelyn Bell Burnell, étoile filante

Adoubée par la communauté scientifique mais boudée par le Nobel, l’Irlandaise Jocelyn Bell Burnell est pourtant à l’origine de l’une des découvertes majeures en astrophysique : les pulsars, des « petites étoiles mortes très denses, émettant des rayonnements électromagnétiques sous forme de faisceaux qui balaient l’espace à intervalles réguliers, tels des phares cosmiques » (CNRS).

Jocelyn Burnell © Getty Images

Elle est la première à en observer le signal radio en 1967, alors qu’elle rédige encore sa thèse à l’université de Cambridge. Pourtant, c’est son directeur, Antony Hewish, et l’astronome Martin Ryle qui reçoivent le Prix Nobel de physique. Philosophe, Jocelyn a expliqué à la BBC que selon elle, « ce n’était pas tant le fait [qu’elle était] une femme qui était en cause. C’était le fait d’être une étudiante. »

Margaret Knight, l’affaire est dans le sac

A priori, ce n’est pas une invention qui a changé la face du monde et pourtant, nous l’utilisons quotidiennement : le sac en papier. Dans les années 1860, l’astucieuse Margaret Knight travaille dans une usine de papier américaine. Chargée de plier à la main des sacs, qui ont alors une forme conique, elle imagine une machine qui coupe, plie et colle le papier pour créer des sacs à fond plat.

Margaret Knight © DR Wikimedia

Alors qu’elle développe son invention, un certain Charles Annan l’espionne et lui vole son idée pour la faire breveter. Mais dessins à l’appui, elle ne se laisse pas faire. Charles a beau arguer qu’aucune femme ne pourrait être à l’origine d’une invention aussi ingénieuse, Margaret obtient gain de cause.

Nettie Stevens, madame X

Nettie Stevens, généticienne américaine, a elle aussi été victime de « l’effet Matilda », selon lequel les femmes scientifiques profitent moins des retombées de leurs recherches. En 1933, c’est son directeur de thèse qui obtient le prix Nobel de médecine pour ses recherches sur les chromosomes et l’hérédité.

Nettie Stevens © Getty Images

Or c’est cette pionnière de la génétique qui, en 1905, a identifié le chromosome Y et son rôle clé dans la détermination du sexe d’un enfant.

Rosalind Franklin, photo volée

Dans les années 1950, la Britannique Rosalind Franklin travaille au laboratoire de biophysique du King’s College de Londres et consacre ses recherches à la structure de l’ADN. Après des heures d’exposition aux rayons X, elle identifie – sur le fameux cliché 51 – la structure à double hélices de l’ADN. La photo est transmise à son insu par Maurice Wilkins, l’un de ses collègues « rivaux », aux biologistes James Dewey Watson et Francis Crick. Le cliché confirme leurs hypothèses…

Rosalind Franklin © Universal Images Group via Getty Images

Rosalind, dont les relations se dégradent avec ses associés, est contrainte d’abandonner ses travaux. En 1962, les trois hommes reçoivent le prix Nobel de médecine… Rosalind ne peut pas réclamer sa part, un cancer des ovaires – probablement causé par sa surexposition aux radiations – l’a emportée en 1958.

Marthe Gautier, où il y a du gène…

En 1956, Marthe Gautier travaille sous la houlette du professeur Raymond Turpin lorsque le monde découvre que l’homme est porteur de 46 et non 48 chromosomes. Il suggère alors de compter les chromosomes chez les enfants « mongoliens ». Grâce à son expérience acquise aux États-Unis, Marthe est la seule en France capable de réaliser une culture cellulaire. En 1959, elle découvre le chromosome surnuméraire de la 21e paire.

Marthe Gautier © Arte

Mais son laboratoire ne dispose pas du matériel pour le photographier. Elle confie son travail à un assistant, Jérôme Lejeune, qui s’empresse d’annoncer « sa » découverte. Dans l’article qu’il publie, le nom de Marthe n’apparaît qu’en seconde position. Et mal orthographié. Il faut attendre le 50e anniversaire de la découverte de la Trisomie 21 et la publication d’un article dénonciateur de Marthe, alors âgée de 84 ans, pour que son rôle soit officiellement reconnu.

Cet article est paru dans le Télépro du 27/2/2025

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