Quand le 7e art réécrit l’Histoire
Un film historique, aussi documenté soit-il, n’en reste pas moins une fiction. Outre de petits anachronismes, délibérés ou accidentels, c’est parfois tout un pan de l’Histoire qui est réécrit.
Volonté scénaristique ou grosses imprécisions, quels sont ces films qui remanient l’Histoire ?
Kwaï, la relecture explosive
«Le Pont de la rivière Kwaï» (ce mardi à 21h15 sur C8) a été réalisé par David Lean en 1957, d’après le roman de Pierre Boulle (1952). Celui-ci s’est inspiré de son propre parcours et de la construction, en Thaïlande, de la «voie ferrée de la mort» qui, sous les ordres du Japon, a coûté la vie à 90.000 forçats asiatiques et prisonniers occidentaux entre 1942 et 1943. Devant la caméra de Lean, le colonel Nicholson (alias Alec Guinness) finit par collaborer avec acharnement. Dans la réalité, les soldats n’ont jamais apporté leur savoir-faire. Mais surtout, et comme dans le roman, les Américains n’ont jamais fait exploser le pont. Il a par contre été bombardé en 1945 puis reconstruit par… les Japonais.
U-571, God Bless America
1942. Le sous-marin allemand U-571 est endommagé. À son bord, la machine à chiffrer Enigma, qui permet au Reich de sécuriser ses communications. Le capitaine Mike Dahlgren (interprété par Bill Paxton) et ses hommes (campés notamment par Matthew McConaughey et Jon Bon Jovi) sont envoyés dans un sous-marin grimé pour la récupérer. Un film de guerre à la gloire de l’Amérique, comme nos voisins d’outre-Atlantique savent si bien le faire. Sauf que… si la machine de codage a bien été récupérée le 9 mai 1941, c’est aux Britanniques que revient le mérite. Selon David Ayer, scénariste du film, cette petite entourloupe rendait le film «plus percutant auprès du public américain».
JFK déclassifié
Après la mort de Kennedy, le 22 novembre 1963, la Commission Warren, chargée d’enquêter, est catégorique : Lee Harvey Oswald est seul coupable. Oliver Stone n’y croit pas et expose sa thèse dans «JFK» en 1991 : le Président aurait été victime d’un coup d’État orchestré, entre autres, par la CIA. Vivement critiqué pour avoir modifié le passé – le Washington Post a qualifié le film «d’acte d’histoire exécrable» et le réalisateur d’homme «à la conscience insignifiante» -, le long-métrage a pourtant modifié le futur. Après l’avoir vu, le Congrès a voté, en 1992, une loi visant à rendre public certains des documents concernant l’assassinat jusque-là secrets.
Imitation approximative
En 2015 sort «Imitation Game», le biopic de Morten Tyldum consacré à Alan Turing (joué par Benedict Cumberbatch). Le mathématicien anglais a été chargé, en 1940, de percer le mystère d’Enigma (encore elle !). Le film, bien qu’ayant reçu l’Oscar du Meilleur scénario adapté, a été critiqué pour son manque de véracité. Ce que confirme le site «Information Is Beautiful» qui a analysé avec minutie sa fidélité à la réalité. Résultat : il ne présenterait que 17,6 % de vérité. Parmi les nombreuses inexactitudes, le film laisse penser que Turing était un traître qui aurait tut la présence d’un espion soviétique parmi ses collègues, en échange du silence sur son homosexualité. Dans The Guardian, le jugement de l’historienne Alex Von Tunzelmann est sans appel : «La liberté de création est une chose, calomnier la réputation d’un grand homme (…) en est une autre.»
Réalité alternative
Se jouer de la réalité peut aussi être un objectif en soi. C’est le cas pour les uchronies qui, partant d’un fait historique, font le récit d’événement fictifs. Et à ce petit jeu, Quentin Tarantino excelle, comme dans «Inglorious Basterds», où Hitler est fusillé dans un cinéma ou dans «Once Upon a Time… In Hollywood» qui laisse la vie sauve à l’actrice Sharon Tate (Margot Robbie). Certains ne se contentent pas de modifier le sort d’un personnage, mais réécrivent la destinée de la planète entière. Ainsi, en adaptant le roman de Philip K. Dick, la série «The Man in the High Castle» met en scène une Amérique sous l’emprise de l’Allemagne, du Japon et de l’Italie, grands vainqueurs de la Seconde Guerre mondiale.
Cet article est paru dans le Télépro du 27/10/2022
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