Quand la cartographie abat ses cartes

Carte du monde (1595) de Rumold Mercator, basée sur la carte de 1569 de son célèbre père, Gérard Mercator © Isopix

Selon le continent, l’époque, le régime politique… nous n’avons pas le même planisphère comme référence.

L’instant est solennel, on n’entend pas une mouche voler dans la classe de première primaire. L’instituteur nous a prévenus : aujourd’hui, c’est cours de géographie et nous allons découvrir le monde. Silence impressionné. Au milieu des années 1960, pas d’Internet pour jouer les explorateurs virtuels, mais des atlas remplis de cartes colorées, des mappemondes lumineuses qui font briller nos yeux d’enfants, et ce grand rouleau de toile que le maître s’apprête à déployer.

Hop ! C’est fait. Le voilà donc ce vaste monde. Suspendu à une ficelle, il pendouille devant le tableau et doit bien faire un mètre sur deux ! Il sent le renfermé. Pourtant, il nous ouvre une porte : nous allons voyager bien au-delà de la cour de récré.

Alors quand un demi-siècle et quelques poussières d’années plus tard, je découvre sur le site du comparateur de voyage Partir.com : «Toutes les cartes du monde sont fausses», ça me fout un sacré coup. Fausses ? Les cartes ? Comment ça ?

Mercator and Co

Les choses se gâtent à partir du moment où l’homme se met en tête de représenter une sphère sur un plan. Prenez Geert Kremer, alias Gérard Mercator. Ce mathématicien né à Rupelmonde, près d’Anvers, fait paraître sa première carte du monde en 1538. Comme le rappelle le site FocusonBelgium.be, ce qu’on appelle «la projection Mercator» (datée, elle, de 1569) donne aux navigateurs «une réelle description des contours des terres».

Cette véritable révolution pour la cartographie n’est pas pour autant exempte de tout reproche. Principal d’entre eux : elle déforme les surfaces et les distances. Quelques exemples des conséquences : alors que l’Amérique du Sud est deux fois plus grande que l’Europe, celle-ci semble plus étendue. Quant à l’Amérique du Nord, alors qu’elle est plus petite que l’Afrique, elle paraît avoir la même taille sur la carte de Mercator. Le résultat n’est pas neutre : les pays du Nord apparaissent plus grands qu’ils ne le sont par rapport à ceux du Sud.

Projection de Peters, de Mollweide-Babinet, de Bottomley, de Collignon, projection polaire… : comme le rappelle Laliste.net, l’homme a toujours voulu représenter son espace. Pour y parvenir, il a aujourd’hui à sa disposition de multiples combinaisons de projections.

Montre-moi tes cartes

La représentation aplatie d’une sphère n’est pas la seule source de déformation possible. Samedi à 19h30 sur Arte, l’émission «Le Dessous des cartes» met sur la table d’autres éléments susceptibles d’influencer la cartographie. Si celle-ci a pour but de représenter le monde sous une forme graphique et géométrique, elle peut aussi influencer notre vision de la planète.

On a vu l’impact de la projection de Mercator (qui reste la référence). La plateforme éducative numérique Lumni met aussi en évidence le fait que les planisphères sont orientés sur les régions dans lesquelles nous vivons. En Europe, notre continent occupe le centre de la carte. Pour les Américains, c’est l’Amérique du Nord ; pour les Chinois, la Chine ; quant aux Australiens, ils inversent complètement le planisphère.

Géopolitique…

Ce n’est pas tout. Le régime politique d’un pays peut aussi avoir un impact. Lorsqu’il est question de frontières, le sujet est particulièrement sensible. Les cartes russes actent l’annexion de la Crimée. Celles du Maroc intègrent le Sahara occidental. Dans certains cas, Google Maps, numéro 1 de la cartographie sur Internet, adapte également ses cartes : en Inde, par exemple, la version locale intègre au territoire indien, celui du Cachemire, contrairement à la version internationale. Une cartographie à la carte… De quoi, parfois, y perdre la carte ! 

Cet article est paru dans le Télépro du 4/11/2021

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