Procès de Flaubert le vulgaire

Gustave Flaubert photographié en 1870 © Isopix
Giuseppa Cosentino Journaliste

Avant d’être un chef-d’œuvre de la littérature, «Madame Bovary», du romancier français du XIXe siècle, dut subir une impitoyable censure… Ce mercredi à 23h15, Arte diffuse le documentaire «Le Procès d’Emma Bovary».

Le 29 janvier 1857, Gustave Flaubert (1821-1880), alors pratiquement inconnu dans le monde littéraire, prend place sur le banc des accusés de la 6 e chambre correctionnelle de Paris. Son méfait ? «Outrage à la morale publique et à la religion» !

Mais la vraie coupable, c’est Emma, l’héroïne adultère de son roman qui cède au désir ! Le procureur crie au scandale. La sentence doit être exemplaire. En exposant ainsi la volupté d’une femme, toute la société patriarcale et conservatrice de l’époque est remise en cause, comme le relate le documentaire d’Arte mercredi, précédé du film, «Emma Bovary» (1991) de Chabrol, avec Isabelle Huppert.

Pourtant, l’écrivain avait déjà dû opérer des coupes, non sans grogne, pour se plier aux diktats moraux…

Censure de fer

S’il est une année emblématique de la censure littéraire, c’est bien 1857. Sept mois après Flaubert, un certain Baudelaire devra répondre des «Fleurs du mal». Sous le Second Empire, alors que Napoléon III fait peser une chape de plomb liberticide sur la société française, Flaubert entend bien faire publier son roman-feuilleton dans la Revue de Paris. Il lui ouvrira les portes de la notoriété, se dit-il.

Mais la publication, déjà dans le collimateur du pouvoir, lui impose des restrictions. Les mots «adultère», «concubine», «concupiscence», parmi d’autres, sont éliminés. Flaubert proteste.

Son ami, Maxime Du Camp, lui assène : «Ta scène du fiacre (relatant les ébats d’Emma et Léon) est impossible !» L’écrivain, piqué au vif, se range, puis se rebiffe après une énième coupe demandée par l’éditeur qui juge le passage du baiser entre Emma et Rodolphe, son autre amant, potentiellement dangereux. C’en est trop ! Il veut consulter son avocat. Trop tard… Ses protestations ont attiré l’attention de la justice.

Éprouvant réquisitoire

Flaubert, le directeur de la revue et l’imprimeur sont tous invités à comparaître sur le banc des accusés. «Des filous et des pédérastes, pour crime d’avoir écrit en français», ironise le romancier. Mais Flaubert, fatigué, écoute, en même temps que les curieux venus en nombre, le réquisitoire lancé avec emphase par le procureur Pinard, conscient de jouer une partition délicate. Durant une heure et demie, il démontre l’immoralité absolue du roman, sortant les passages de leur contexte.

Dans une plaidoirie de près de quatre heure, l’avocat de Flaubert contre-attaque. Sur un ton rigoriste, il souligne, au contraire, l’exhortation à la vertu que constitue l’ouvrage «dont le but moral et préventif est si évident». Aucune jeune fille n’a envie de finir comme la pauvre Emma…

Flaubert s’en sort avec un blâme pour son «réalisme vulgaire». En avril 1857, «Madame Bovary» paraît en deux volumes chez Michel Lévy. Un succès ! Mais l’auteur ne pardonnera jamais à Pinard d’avoir «traîné sa pauvre Bovary comme une catin devant les tribunaux».

«Madame Bovary, c’est moi !», aurait-il affirmé. Un chef-d’œuvre incompris qui lui laissera, à jamais, un goût amer… 

Cet article est paru dans le Télépro du 23/9/2021

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