Pour les beaux yeux d’Elsa

Féministe avant l’heure, premier prix Goncourt attribué à une femme, Elsa Triolet a vécu une profonde passion avec Louis Aragon © France 5/AGIP/Bridgeman Images/Complices Films/INA

Louis Aragon et Elsa Triolet formaient un couple mythique. Mais elle était trop féministe pour n’être que sa muse…

Qui fut la première femme à obtenir le prix Goncourt ? Elsa Triolet, en 1945. Bien malin qui sait ça. Car quand on évoque cette auteure, on l’associe d’abord à son époux, le poète Louis Aragon. C’est pour elle qu’il écrivit «Les Yeux d’Elsa», un poème mis en musique par Jean Ferrat.

L’histoire retient d’Elsa qu’elle fut la muse d’Aragon. On se souvient de son nom à lui, mais uniquement de son prénom à elle…

Entre Paris et Moscou

«Dans les yeux d’Elsa Triolet» (vendredi à 23h05 sur France 5) revient sur l’histoire de ce couple mythique. Et comme tous les couples mythiques, il n’aurait jamais dû se rencontrer… C’est l’année 1917 qui fait chavirer leur destin. Cette année-là, le jeune Louis Aragon, étudiant en médecine, est mobilisé. Les horreurs du front le dégouteront définitivement du métier.

Cette même année, la révolution éclate en Russie, où est née Elsa. Elle a 21 ans, a grandi dans une famille aisée et termine des études d’architecture. Mais elle a toujours vu son père, avocat, interdit de plaider en raison de discriminations antisémites. Alors, elle s’enthousiasme pour cette révolution. Tout comme son amoureux de l’époque, le poète futuriste Vladimir Maïakovski. Mais un jour, Maïakovski se détourne d’Elsa pour lui préférer sa sœur aînée, Lili Brik. Par dépit, en 1919, Elsa épouse le premier venu : un officier français croisé à Moscou, André Triolet.

Femme au foyer, jamais !

Elsa Triolet supporte mal l’exil à Paris. Issu de la bourgeoisie provinciale, son mari attend d’elle qu’elle soit une parfaite épouse au foyer. Elsa est diplômée, trilingue, et ce n’est pas la vie à laquelle elle est habituée. La société française lui semble totalement rétrograde. En Russie, les femmes sont encouragées à travailler, elles ont le droit de vote depuis 1917, le droit de divorcer et même celui d’avorter dès 1920.

Elsa Triolet décide rapidement de quitter ce mari dont elle garde le nom. Elle se met alors à écrire et à fréquenter les artistes du quartier Montparnasse. C’est là, en 1928, qu’elle fait la connaissance de Louis Aragon. L’un et l’autre ont 30 ans. Ils partagent une passion pour la littérature et une admiration pour le communisme. Durant la Seconde Guerre mondiale, ils s’engageront ensemble dans la Résistance.

L’avenir de l’homme

Avant-guerre, les écrits d’Elsa Triolet tournent autour des thématiques féministes – ce qui est précurseur pour l’époque. «La femme est l’avenir de l’homme», écrit Aragon en 1963. C’est sans doute son vers le plus connu… En réalité, il s’inspire d’un texte écrit par sa femme dès 1938 : «Les femmes, c’est l’avenir du monde.» Elsa Triolet et Louis Aragon ne se sont jamais quittés. Jusqu’au 16 juin 1970, quand elle décède soudainement d’un arrêt cardiaque dans leur maison de la région parisienne. À partir de ce jour-là, Louis Aragon n’a plus jamais changé la page du calendrier.

Cet article est paru dans le Télépro du 24/11/2022

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