Palmyre, de la splendeur aux ruines
Il y a deux mille ans, c’était une cité florissante au milieu d’un désert aujourd’hui syrien. Conseillère historique du documentaire que consacre le réalisateur Meyar Al Roumi aux portraits funéraires de Palmyre (ce samedi à 20h50 sur Arte), l’historienne Annie Sartre (*) revient sur les grandes heures de la cité antique.
Annie Sartre, qu’est-ce qui confère à Palmyre son statut de cité mythique ?
Le souvenir de sa grandeur ne s’est jamais perdu. Cela tient d’abord à «L’Histoire Auguste», un texte anonyme du V e siècle qui réunit les biographies d’empereurs du monde gréco-romain, dont celles de l’impératrice autoproclamée de Palmyre, Zénobie, et de son mari, Odénat. En contant l’exil à Rome de cette souveraine rebelle, le livre a contribué à perpétuer la mémoire de la cité. Ce statut, Palmyre le doit, entre autres aussi, à ses vestiges exceptionnels, notamment le temple de Bêl, ses grandes avenues à colonnades et ses impressionnantes tours funéraires. Mais aussi à un cadre surprenant lorsque, après plusieurs jours de piste, la cité apparaissait, bâtie près d’une oasis au milieu de la steppe syrienne. Palmyre est ainsi restée longtemps inaccessible avant que les premiers explorateurs européens ne la redécouvrent au XVIIe siècle.
Quel rôle a-t-elle joué au cours de son histoire ?
Les premières mentions d’une installation humaine à Palmyre remontent au III e millénaire avant notre ère. On relève des activités économiques dès cette époque, durant laquelle la cité servait aussi de refuge aux brigands. Les traces de ce premier établissement urbain ont été recouvertes par le temple de Bêl. Son destin est bien mieux connu à l’époque romaine, car tout en restant relativement hors de l’orbite de Rome, Palmyre développe des activités commerciales de transit grâce à sa position entre Méditerranée et Euphrate. Son essor, dès le I er siècle avant J.-C., est lié à l’exportation vers l’immense marché que constitue l’Empire romain de produits qui venaient d’Inde, de Chine et d’Afrique, acheminés par les caravaniers depuis le golfe Persique.
Dans quelles circonstances s’est-elle éteinte ?
Elle a connu son apogée au II e siècle, avant de décliner après la chute de Zénobie, au milieu du siècle suivant, qui a sonné le glas de sa prospérité. Ses habitants, exposés aux attaques de pillards et à la terreur exercée par des tribus bédouines, finiront par la déserter à la fin du Moyen Âge – seules quelques familles ont trouvé refuge dans l’enceinte du temple de Bêl.
Quel bilan a-t-on pu établir des destructions perpétrées par Daech ?
Les djihadistes de l’État islamique ont commis des dégâts irréparables au cours de leurs deux prises du site, en août 2015 et janvier 2016. Lors de la première, après avoir exécuté Khaled al-Asaad, l’ancien directeur des Antiquités et des musées de Palmyre, ils ont, entre autres, dynamité les temples de Bêl et de Baalshamin, les tours qui dominaient la ville, et ont renversé le grand arc. Par la suite, ils ont aussi détruit le tétrapyle, un monument de seize colonnes, et la façade du théâtre romain. Nous avons irrémédiablement perdu les fresques et les inscriptions, en grec et en araméen, portées sur les monuments rasés. Depuis, le site, occupé par les forces russes et toujours interdit à ses propres habitants, n’a été rouvert qu’à une poignée de touristes et de journalistes triés sur le volet par les autorités.
Comment le site archéologique de Palmyre peut-il renaître ?
Damas n’a qu’une hâte : reconstruire au plus vite ce qui a été détruit et rebâtir hôtels et restaurants à proximité afin de faire revenir les touristes et leur manne de devises. Pour de nombreux archéologues et historiens, dont je fais partie, cela n’a aucun sens. Si l’on peut réunir un jour des fonds suffisants pour Palmyre, je plaide pour que les ruines restent en l’état, que l’on sécurise les lieux afin d’empêcher le pillage des antiquités, actuellement à l’œuvre à une échelle quasi industrielle, et que l’on puisse reprendre des fouilles : 80 % du site n’ont en effet jamais été explorés.
Entretien : Christine Guillemeau
(*) Annie Sartre, «Aventuriers, voyageurs et savants – À la découverte archéologique de la Syrie», Éditions du CNRS
Cet article est paru dans le Télépro du 9/6/2022
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