Opération Rubicon : espions levez-vous !
Jeudi à 22h20 sur La Une, François Mazure décrypte une affaire d’espionnage digne d’une fiction. L’enquête qui a révélé l’Opération Rubicon a fait l’effet d’une bombe au plus haut niveau de l’État suisse.
Après des années de suspicion, les faits sont là : la Suisse a bel et bien hébergé l’opération d’espionnage la plus importante depuis la Seconde Guerre mondiale.
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En février dernier, une enquête émanant du journal américain Washington Post et de la chaîne de télévision allemande ZDF provoque la stupeur : depuis les années 1970, les services secrets américains et allemands espionneraient conjointement des centaines de dirigeants via une entreprise qu’ils contrôlaient en sous-main. L’origine de cette affaire débute en réalité durant la Seconde Guerre mondiale, période au cours de laquelle la société suisse, Crypto AG, se démarque dans le domaine du cryptage et signe un contrat de fabrication d’appareils de codage avec l’armée américaine.
Après la guerre, l’entreprise helvète, basée dans le canton de Zoug, conserve sa belle réputation. Et c’est tout naturellement que de nombreux pays font appel à elle pour gérer la sécurité des communications entre espions, soldats, dirigeants politiques ou encore diplomates. Selon le Washington Post, l’entreprise a vendu ses équipements à quelque 120 clients, dont l’Iran, les juntes militaires d’Amérique latine, l’Inde, le Pakistan et même le Vatican…
Ce que cette clientèle internationale ignorait, c’est que Crypto AG était détenue depuis 1970 par la CIA et les services secrets ouest-allemands. «Les agences d’espionnage adaptaient la technologie fournie par l’entreprise», relate un communiqué de l’agence Belga, «et pouvaient ainsi aisément casser les codes employés par les nations pour envoyer leurs messages codés».
Si les services allemands ont pris leurs distances avec Crypto AG vers 1994, laissant la CIA aux commandes, et que l’entreprise a fait faillite en 2018, une partie du matériel vendu par la firme de cryptage est toujours actuellement utilisé.
La rumeur court…
Le temps des révélations passé, vient celui des réactions et certains ne semblent pas tomber des nues. En effet, des interrogations concernant la société Crypto AG avaient déjà été publiées dans la presse durant les années 1990 et début 2000. Si des soupçons ont été relatés par des journalistes, il est dès lors difficile d’imaginer que les services secrets du monde entier n’aient rien su des agissements de la CIA et de la BND.
Le régime malaisien a, par exemple, affirmé savoir que les outils de Crypto AG servaient aux Américains, mais qu’ils avaient tout simplement contourné le problème en modifiant eux-mêmes la technique de cryptage…
De notre côté, le service de renseignement de l’armée, le SGRS, a annoncé en février dernier avoir pris connaissance de l’affaire Rubicon et «se pencher à l’heure actuelle sur l’ampleur potentielle des écoutes ainsi dénoncées». Une tâche incontournable, puisque le ministre de la Défense, Philippe Goffin, a expliqué que notre pays «a acheté dans les années 1950 un certain nombre d’appareils de cryptage de la société Crypto AG. Ils ont été utilisés jusqu’au milieu des années 1970 pour crypter les communications avec les opérations (militaires) à l’étranger».
L’heure des sanctions
Une grande question demeure : qui va payer pour l’affaire Rubicon ? Une enquête est en cours côté suisse et le juge en charge du dossier doit rendre son rapport fin juin. Cependant, les investigations menées, notamment par le Washington Post, donnent déjà un élément de réponse. «Les documents de la CIA et du BND indiquent que les autorités suisses ont dû connaître les liens entre Crypto et les services d’espionnage américains et allemands depuis des décennies, mais ne sont intervenus qu’une fois qu’ils ont appris que la presse allait exposer les faits.»
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