Oiseaux géants cloués au sol
Ce samedi à 22h25 sur Arte, le documentaire «Le Mystère des oiseaux géants» tente de comprendre comment les grands oiseaux incapables de voler ont colonisé la planète.
Autruches africaines, rhéas d’Amérique du Sud, émeus et casoars d’Océanie, pourtant très éloignés géographiquement, ces gigantesques oiseaux, réunis sous la terminologie de ratites, ont en commun l’apparence et l’incapacité de voler. Comment ont-ils réussi à s’imposer sur terre ?
Destins croisés
Avant l’autruche des savanes africaines, qui est déjà impressionnante du haut de ses 2,80 mètres, un oiseau ratite bien plus grand a peuplé les forêts de Nouvelle-Zélande durant des millions d’années : le moa géant. Cet oiseau, le plus grand connu à ce jour, affichait un poids moyen de 200 kilos et s’est éteint il y a à peine 600 ans, en même temps que l’arrivée des Maoris sur l’île. Grâce aux nombreuses découvertes de squelettes de moas, les scientifiques peuvent affirmer que, comme l’autruche, il était incapable de voler.
À plus de 11.000 kilomètres de là, à Madagascar, les sous-sols regorgent aussi d’une biodiversité disparue, dont des ossements d’Aepyornis appelés oiseaux éléphants. Très proches des moas de Nouvelle-Zélande, les Aepyornis étaient moins grands, mais plus lourds. Endémiques de Madagascar, ces volatiles balourds, également privés de vol, étaient libres de tous prédateurs… jusqu’à l’arrivée de l’homme. Traqués jusqu’au dernier, les oiseaux éléphants se seraient éteints autour de l’an 1.000.
Premières hypothèses
Pour expliquer la présence éparse d’oiseaux si semblables, mais dépourvus de l’aptitude à l’envol, les scientifiques ont d’abord envisagé la voie maritime. «Grâce aux fragments de coquilles d’œufs retrouvés en grand nombre sur les plages, nous savons que les oiseaux éléphants s’y rendaient pour pondre», détaille le documentaire d’Arte. L’on peut alors imaginer qu’un œuf échappait de temps à autre à la vigilance du groupe pour rouler vers l’océan et s’implanter sur d’autres terres émergées.
Au début du XXe siècle, lorsque les géologues démontrent le principe de la tectonique des plaques, cette première idée est délaissée au profit d’une autre : les ratites ont peut-être été les passagers d’îles dérivantes quand le Gondwana, ou supercontinent, a commencé à se fracturer, il y a 160 millions d’années. «Le ratite avait un ancêtre commun sur le Gondwana, lorsqu’il s’est séparé en plusieurs plaques, chaque partie de ce super continent a pu amener son ‘ratite à lui’», soutient, dans le doc, un paléontologue malgache. «Cela a donné des espèces différentes sur chacun des continents que nous connaissons aujourd’hui»
Révélations technologiques
La théorie de la tectonique des plaques a longtemps fait autorité pour expliquer la dispersion des oiseaux géants sur le globe. Mais les progrès récents de l’analyse génétique ont tout remis en question. Aujourd’hui, les paléogénéticiens peuvent non seulement comparer l’ADN d’un ratite avec l’un de ses contemporains, mais aussi avec une espèce disparue.
Kieren Mitchell, l’un de ces spécialistes, a alors fait le pari audacieux de comparer l’ADN de ratites géants disparus avec… le kiwi, un tout petit oiseau de Nouvelle-Zélande, discret et incapable de voler. Résultat ? Le kiwi est l’animal le plus proche de l’oiseau éléphant. Cela signifie donc que le plus lourd des ratites possède un ancêtre commun avec le plus petit. Grâce à des analyses plus pointues encore, les scientifiques peuvent affirmer que cet ancêtre a vécu après la dislocation du Gondwana et la disparition des dinosaures. Ce qui infirme la théorie de ratites à la dérive, mais qui suggère une nouvelle hypothèse formulée par Kieren Mitchell : «Nous pensons que l’ancêtre commun des kiwis et des oiseaux éléphants était tout simplement capable… de voler !»
Plus d’espace, plus de masse !
Mais alors, si l’ancêtre commun d’une partie des ratites était capable de prendre son envol pour créer sa descendance sur différents continents, pourquoi ont-ils perdu cette aptitude ? «La catastrophe qui a mené à la disparition des dinosaures a également anéanti 70 % des espèces animales», analyse le paléogénéticien. «Très tôt après la disparition des dinosaures, les ratites ont exploité cette absence pour devenir gigantesque et, en conséquence, incapables de voler.»
Cet article est paru dans le Télépro du 11/4/2024
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