Napoléon, le petit Corse devenu Empereur, homme adulé ou honni
« Quel roman que ma vie! » À sa mort en 1821, la légende – noire ou dorée – de Napoléon Bonaparte est déjà en marche. Celle du « petit caporal » corse devenu l’Empereur d’un vaste territoire, jusqu’à la chute ultime de Waterloo.
« Vivant, il a manqué le monde; mort, il l’a conquis », disait Chateaubriand de ce Français au destin hors norme, qui a su profiter de l’écroulement de l’Ancien Régime et du tumulte de la Révolution pour se hisser, dans l’imaginaire collectif, parmi les plus grands héros de l’Histoire.
Adoré ou abhorré, concentré de passions françaises, il est tantôt « l’Aigle », brillant stratège, tantôt « l’Ogre » guerrier, misogyne et qui a rétabli l’esclavage.
Propagateur, en conquérant l’Europe, des acquis de 1789 ou au contraire fossoyeur d’une démocratie naissante.
« Il n’y a pas un », résume à l’AFP l’historien Jean Tulard, « mais deux personnages: on a Bonaparte héros de la République et Napoléon qui crée l’Empire et rétablit une monarchie héréditaire ».
Né le 15 août 1769 à Ajaccio, au lendemain de l’annexion française, il est le deuxième enfant d’une famille de la noblesse insulaire désargentée.
Premier Consul auto-couronné
Son ascension est celle d’un homme « qui sait profiter des circonstances en ayant toujours la volonté de réussir et ce que Machiavel appelait la +virtù+, c’est-à-dire à la fois les qualités requises mais aussi de la chance », explique Thierry Lentz, qui dirige la Fondation Napoléon.
A 10 ans, il parle à peine le français. A 20, quand éclate la Révolution, le sous-lieutenant d’artillerie va gravir à toute vitesse les échelons.
Promu général à 24 ans puis général en chef de l’armée de l’Intérieur à 26, il est déjà en vue sous le Directoire. « Il est vraiment insaisissable. De très banal de caractère, il devient d’un coup complètement exceptionnel », note l’historien Charles-Eloi Vial.
Il s’éprend follement de la veuve d’un vicomte guillotiné, Joséphine de Beauharnais. L’épouse dans la foulée avant d’aller mener, sabre au clair, la campagne d’Italie. Le début de son épopée.
Il remporte victoire sur victoire et, surtout, le fait savoir dans la presse: « Bonaparte vole comme l’éclair et frappe comme la foudre ».
Héros après le Pont d’Arcole, il gagne encore en popularité pendant la campagne d’Egypte. « C’est un propagandiste de génie. Aucun, à ce jour, ne l’égale », juge Tulard. « Avec le bicorne +en bataille+ et son manteau », ajoute Vial, « il crée son personnage à la silhouette immédiatement reconnaissable ».
Homme-clé du coup d’Etat du 18 brumaire (9 novembre 1799), il rafle la mise en s’emparant du Consulat avant de confisquer le pouvoir comme Premier consul « à vie ».
En 1802, lors de la -brève- trêve avec les Anglais, il récupère la Martinique. L’esclavage y est en vigueur alors qu’il vient d’être aboli en Guadeloupe. L’alignement se fera… sur la Martinique.
« Napoléon a l’ordre des sexes, des classes et des races chevillé au corps. Il a une dimension raciste », affirme l’historienne Mathilde Larrère. Pas d’accord, Thierry Lentz juge que l’esclavage, alors généralisé, est rétabli par « pragmatisme économique ».
Bourreau de travail, Napoléon parachève l’Etat moderne, centralisé et promulgue en 1804 le Code civil, son chef-d’oeuvre, qui lui a survécu.
Le despote amplifie le culte de la personnalité et se couronne lui-même Empereur des Français le 2 décembre 1804, en grande pompe, à Notre-Dame.
Tout lui réussit, notamment sur les champs de bataille. Comme à Austerlitz, un an jour pour jour après son sacre: « la plus belle victoire de notre histoire », pour Tulard; il est le « dieu de la guerre », s’incline alors le général prussien Clausewitz.
Mais c’est un colosse aux pieds d’argile. A son apogée -il porte la France à son extension maximale, avec 88 millions d’âmes en 1811- la machine se dérègle.
Grisé, Napoléon ne sait pas lever le pied au traité de Tilsit (1807). La campagne d’Espagne marque le début de la fin.
« Il lui manque la capacité de se projeter en temps de paix et de stabiliser ce qu’il a créé. Il ne prend plus que de mauvaises décisions », dit Thierry Lentz.
Autour de lui, on s’alarme. « L’Empereur est fou, tout à fait fou et tout cela finira par une épouvantable catastrophe », prédit dès 1809 un ministre.
Napoléon a mis la France au pas et instauré un Etat policier mais a parfois la main qui tremble, comme avec Fouché et Talleyrand, qui complotent. « Tu humilies trop et ne punis pas assez », l’avait averti Joséphine avant sa répudiation.
Elbe puis Sainte-Hélène
Empâté, il est divisé entre une vie bourgeoise aux Tuileries avec sa seconde épouse Marie-Louise, qui lui a donné l’héritier tant attendu, et des offensives en Russie qui laissent le pays et ses finances exsangues.
L’Europe coalisée l’étrangle. Poussé à l’abdication le 6 avril 1814, Napoléon est exilé sur l’île d’Elbe, face à sa Corse natale.
Il ne ronge pas son frein longtemps et part à la reconquête de son trône, occupé par Louis XVIII. Après un débarquement surprise à Golfe-Juan et une remontée expresse du pays à cheval, le voilà revenu au pouvoir, sans coup férir, le 20 mars 1815.
Un succès bancal. Les alliés reprennent les armes, les armées napoléoniennes ne font plus le poids et sont battues à Waterloo. C’est la fin des Cent-Jours, Napoléon abdique à nouveau, le 22 juin: « je m’offre en sacrifice à la haine des ennemis de la France ».
Cette fois, les Anglais le neutralisent définitivement en le déportant aux antipodes. Sur un caillou perdu dans l’Atlantique sud: Sainte-Hélène, l’île-prison, où Las Cases rédige « Le Mémorial », bréviaire du bonapartisme.
Malade, l’empereur déchu meurt le 5 mai 1821. Il a demandé à reposer sur les bords de Seine. Dernières volontés exaucées 20 ans après, aux Invalides, lors de funérailles grandioses.
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