Microbiologie : d’insaisissables sujets
Ce samedi à 23h50 avec le documentaire «Le Peuple des airs», Arte nous embarque à la découverte d’un monde si proche de nous, que nous connaissons pourtant si mal : celui du plancton aérien.
À l’instar des mers, notre air possède son propre «plancton» constitué d’insectes, de bactéries, de virus, de graines et de pollens végétaux. Autant de petites formes de vies qui, arrachées à la terre et aux eaux par les vents, s’accrochent aux poussières pour constituer de véritables autoroutes célestes. Et notre destin est étroitement lié à la pérennité de ce peuple aérien, aussi minuscule soit-il.
Débuts excitants
L’existence du plancton aérien est connue depuis presque deux siècles, Louis Pasteur (1822-1895) le nommait «corpuscule organisé en suspension dans l’air». Au début du XXe siècle, ce monde aérien et invisible inquiète. «Tuberculose, méningite… bientôt des bactéries sont identifiées et associées à des maladies. Pour les combattre, on ouvre alors les fenêtres, on fait de la gymnastique… Ce sont les débuts de l’aérobiologie», indique le documentaire. Les premières découvertes ne tardent pas : pour un même volume d’air, rue de Rivoli à Paris, on trouve 55.000 bactéries, mais sous les arbres d’un jardin public, 7.600. Cette matière devient même un argument marketing ! En Suisse, un hôtel de montagne affiche fièrement sur sa devanture : «Ici, seulement 25 bactéries». On fait aussi appel à Charles Lindbergh, le pilote d’avion, pour qu’il agrémente l’extérieur de sa carlingue de papiers collants lors d’un survol au nord du Canada. «Il récolte une multitude de spores de champignons, de pollen, de microalgues… L’idée que des êtres vivants peuvent survivre à de longs voyages aériens en haute altitude fait son chemin.» Et puis, soudain, grand public et scientifiques se désintéressent de ce peuple des airs jusqu’à la fin du siècle.
Come-back
Les progrès de l’imagerie satellitaire et de la microbiologie, dès la fin des années 1990, permettent à l’aérobiologie de pousser recherches et découvertes bien plus loin que quelques décennies auparavant. Un retour sur le devant de la scène qui profite à toute la population. En 2006, lors du huitième congrès international consacré à cette science, le biométérologue Bernard Clot exprimait toute l’importance de sa matière d’étude. «L’aérobiologie, qui s’intéresse non seulement à l’émission des particules mais aussi à leur diffusion, est très utile dans les domaines des allergies et de la phytopathologie (étude des maladies végétales)», affirme-t-il dans le quotidien suisse Le Temps. «Dans les deux cas, elle permet d’informer et de prévoir, donc de mieux cibler les traitements. Les spécialistes de la lutte contre le bioterrorisme s’y intéressent beaucoup aussi : mieux on connaît la composition habituelle de l’air, plus tôt il est possible de détecter une attaque.»
Vol passif
Concrètement, qui trouve-t-on dans ce peuple des airs ? Une véritable ménagerie : spores, pollen, bactéries, mais aussi des petits insectes et araignées. Quel est leur but ? Utiliser le vent comme une sorte de tapis magique. «L’air est une porte ouverte, une possibilité, la chance de se nourrir, de se reproduire, de changer de vie», détaille le documentaire d’Arte. «Alors que les oiseaux ont un vol actif, la dispersion aérienne est souvent une dérive passive. Les créatures du plancton aérien que se retrouvent dans l’atmosphère ne contrôlent ni leur direction, ni l’altitude, ni la distance parcourue pendant le voyage.»
Voyage mortifère
Se laisser porter par le vent en espérant arriver à bon port n’est pas sans danger. «C’est une gigantesque loterie où les chances de survie sont minces. La plupart des jeunes habitants du plancton, 80 % environ, meurent pendant le voyage. L’essentiel est que les survivants trouvent l’endroit idéal pour produire des descendants et réenclencher ce ballet pour obtenir, au final, un bilan positif», souligne-t-on dans «Le Peuple des airs». Pour ceux fauchés en plein vol, tout n’est pas perdu. Ils servent de nourriture aux prédateurs qui les interceptent durant la route, tandis que les cadavres fournissent des éléments nutritifs à la terre et ses autres petits habitants.
Colonisateur utile
Cette livraison aérienne incessante de micro-organismes est un processus naturel qui se produit depuis des temps immémoriaux et qui joue, évidemment, un rôle sur l’équilibre de notre environnement. Les rares petits voyageurs qui arrivent à destination agissent alors sur les écosystèmes qu’ils rencontrent. Par exemple, certaines bactéries aident la croissance des plantes en se fixant dessus et en captant l’azote, d’autres s’enfoncent dans le sol et recyclent la matière organique morte. De leur côté, virus et moisissures, aussi microscopiques soient-ils, régulent les populations animales et végétales.
Autosabotage
Chaque printemps, lorsque les pollens entrent dans la danse du manège aérien pour aller à la rencontre des organes femelles d’un arbre, ce sont autant de citoyens qui subissent les affres de l’allergie. Pourtant, initialement, un grain de pollen est trop grand pour entrer dans les voies respiratoires d’un humain. C’est au contact de la pollution atmosphérique que les grains s’abîment, se brisent par endroit et deviennent aptes à pénétrer dans nos narines et causer les fameuses allergies. «De nos jours, les grains de pollen évoluant dans l’atmosphère polluée sont plus susceptibles de créer des crises d’asthme», alerte Nicolas Visez, chimiste de l’environnement. «Nos activités humaines ont tout modifié, tout pollué, y compris jusque dans ces échelles infiniment petites.»
Cet article est paru dans le Télépro du 21/3/2024
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