Madame Dreyfus
Derrière l’affaire Dreyfus, il y a un homme : Alfred Dreyfus. Mais il y a aussi une femme : Lucie Dreyfus, son épouse. Elle s’est battue bec et ongles pour sauver son mari.
Dans la famille Dreyfus, on connaît Alfred – héros malgré lui de l’affaire qui porte son nom. Mais il y a aussi Lucie, sa femme. Alors qu’Alfred Dreyfus est condamné au bagne, Lucie lui conserve un amour et une confiance indéfectibles.
Dimanche à 22h20, France 5 consacre un joli documentaire à cette femme héroïque : «Alfred et Lucie Dreyfus, je t’embrasse comme je t’aime». Avec de beaux documents d’époque, parmi lesquels la voix enregistrée de Dreyfus.
Haute trahison
15 octobre 1894. On sonne chez les Dreyfus. Le jeune couple habite un bel appartement proche des Champs-Élysées. Lucie attend Alfred pour le repas de midi. Sans doute a-t-il oublié ses clés… Mais à la porte, ce n’est pas lui. C’est un officier chargé de perquisitionner le logement. Le capitaine Dreyfus vient d’être arrêté pour haute trahison au profit de l’Allemagne. Lucie est sous le choc. Jamais son mari n’aurait pu faire une chose pareille !
Né à Mulhouse en 1859, Alfred Dreyfus a opté pour la nationalité française quand les Allemands ont annexé l’Alsace. Il est ensuite parti pour Paris où il a réussi Polytechnique avant de faire l’École de Guerre. Comme il en est sorti parmi les mieux classés, il a directement intégré l’état-major. Une belle carrière s’offrait à lui. Mais Alfred est juif, et certains estiment qu’il ne devrait pas y avoir d’officiers juifs dans l’armée française…
Le bagne à perpétuité
Lucie a 25 ans et deux jeunes enfants. Elle a fait avec son bel officier un mariage d’amour. «Te rappelles-tu quand je te disais combien nous étions heureux ?», lui écrit-il dans sa première lettre de prison. «Tout nous souriait dans la vie. Puis, tout à coup, un coup de foudre épouvantable dont mon cerveau est encore ébranlé. Moi, accusé du crime le plus monstrueux qu’un soldat puisse commettre. Encore aujourd’hui, je me crois le jouet d’un cauchemar épouvantable. (…) Je t’embrasse mille fois comme je t’aime, comme je t’adore, ma Lucie chérie. Mille baisers aux enfants. Je n’ose pas t’en parler plus longuement, les pleurs me viennent aux yeux en pensant à eux…»
En décembre, Dreyfus passe en conseil de guerre. Il clame son innocence. L’audience est à huis clos. Le dossier ne contient qu’une seule pièce, sur laquelle les experts en graphologie ne sont pas unanimes. Lucie pense que son mari va être relaxé. Il est condamné au bagne à perpétuité.
Un pacte d’amour
Lucie Dreyfus craint que son mari, dégradé et déshonoré, se suicide. Elle ne veut pas perdre le père de ses enfants, mais elle refuse surtout qu’il donne raison à ceux qui l’accusent à tort.
Par courrier, les époux font alors un pacte d’amour : il lui promet de rester en vie, elle lui promet de se battre pour lui. Ils vont s’échanger des centaines de lettres entre Paris et Cayenne, où Dreyfus est déporté. Les bagnards y survivent sept ans en moyenne. Dreyfus devrait tenir moins longtemps puisqu’il est soumis à un régime d’exception, isolé sur un îlot désert.
Comme la loi l’y autorise, Lucie se propose de le rejoindre. Il refuse. Elle remue alors ciel et terre à Paris pour que la presse s’intéresse à l’affaire et que son procès soit révisé. Dreyfus sera d’abord recondamné, puis gracié avant d’être totalement innocenté et réhabilité en 1906. Grâce à «ma compagne dévouée et héroïque», écrira-t-il dans ses mémoires.
Quand il rentre de Cayenne, Alfred souffre de la malaria, il a perdu plusieurs dents et il a du mal à parler après s’être tu pendant de longues années. Toujours attentive à son homme, Lucie bourre son uniforme d’ouate pour qu’il ne flotte pas dedans.
Cet article est paru dans le Télépro du 31/3/2022
Vous avez repéré une erreur ou disposez de plus d’infos? Signalez-le ici