Lucrèce Borgia, lubrique ou pas ?
Empoisonneuse, incestueuse, lubrique et satanique… Les qualificatifs calomnieux ne manquent pas pour décrire celle qui fut pourtant la rayonnante duchesse de Ferrare, dans le nord de l’Italie.
D’où vient sa sulfureuse réputation ? Et comment, cinq siècles après sa mort, conserve-t-elle toujours ce parfum de scandale ? Ce lundi soir, le numéro de «Secrets d’Histoire» sur France 3 dresse le portrait tout en nuances de la tristement célèbre Lucrèce Borgia. Il entend ainsi réhabiliter l’image de cette femme de la Renaissance dépeinte comme un monstre de perversion, dont Victor Hugo et tant d’autres se sont fait les complaisants échos.
Digne bâtarde
Née en 1480 à Rome, Lucrèce est la fille illégitime du cardinal Rodrigo Borgia, futur pape Alexandre VI, et de Vannozza Cattanei, sa maîtresse préférée, accessoirement mariée. «Famille de démons que ces Borgia !», écrit Victor Hugo dans son drame éponyme en 1833. Bien que leur réputation ait été gonflée par la légende, leur corruption n’avait rien à envier à celles des autres papes. Il n’était pas choquant, à l’époque, qu’un homme d’Église ait une descendance. La petite fille vit donc heureuse, entourée de sa mère et de ses deux frères. À l’adolescence, elle rejoint son père au Vatican, qui vit avec sa nouvelle maîtresse âgée de 15 ans. C’est elle qui se chargera d’éduquer la jeune fille en véritable princesse. Dans un couvent dominicain, elle y étudie les langues, la musique, le dessin, le chant et la broderie.
Poule aux yeux d’or
Cependant, son père et son frère aîné, César Borgia, ont d’ambitieux desseins… Ils voient en Lucrèce un appât idéal pour parvenir à se hisser dans les hautes sphères du pouvoir. Un seul moyen : le mariage ! Comme elle est d’une grande beauté, «de taille moyenne, le visage allongé, les cheveux dorés et les yeux bleus très clairs», les prétendants se bousculent au portillon. L’heureux élu est Giovanni Sforza, comte de Pesaro et demi-frère du duc de Milan, de dix ans son aîné. Elle en a 13.
Entre-temps, Rodrigo devient pape. Ses objectifs ont évolué, le beau-fils devient encombrant. Le pape Alexandre VI fait annuler le mariage pour non-consommation et accuse Giovanni d’impuissance. Faux, puisqu’il a eu plusieurs enfants hors mariage. Humilié et vexé, le mari éconduit se venge en colportant de fausses rumeurs : Lucrèce entretiendrait des relations incestueuses avec son père et ses frères ! La légende infâme est née…
Liaisons dangereuses
Qu’à cela ne tienne, un nouveau mari est rapidement assigné à la docile Lucrèce : le jeune et séduisant Alphonse d’Aragon, fils illégitime du roi de Naples. Mais César Borgia change de camp et doit le faire assassiner. Inconsolable, Lucrèce se brouille avec son frère. Le désespoir de la jeune veuve de 20 ans importe peu aux deux hommes, qui ne tardent pas à lui imposer un troisième lascar : Alphonse d’Este, futur duc de Ferrare. Si la famille d’Este se montre d’abord réticente à cette union, elle finit par accepter moyennant une coquette somme d’argent. L’avenir de Lucrèce ainsi négocié, la jeune fille se libère enfin du joug des deux hommes.
Excellente ambassadrice
Loin de Rome, elle réunit à la cour de Ferrare les artistes les plus remarquables de la Renaissance. En tant que duchesse, elle se distingue aussi en excellente ambassadrice auprès des États étrangers et son époux n’hésite pas à lui confier différentes missions. Elle s’éteint à 39 ans, des suites d’un neuvième accouchement difficile. La postérité et – notamment – les nombreuses adaptations du personnage au théâtre ou à l’opéra se chargeront de ternir, un peu plus, le mythe construit sur des commérages.
Cet article est paru dans le magazine Télépro du 26/3/2020
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