Lucrèce Borgia, l’atout cœur du Pape
Mariée trois fois, Lucrèce Borgia doit sa sordide réputation à son père, Alexandre VI, et son frère César qui l’ont utilisée comme instrument diplomatique. Ce vendredi à 22h35, La Une diffuse une pièce de théâtre inspirée de sa destinée, enregisrée à l’abbaye de Villers-la-Ville.
Dans la sulfureuse famille Borgia, qui a défrayé la chronique dans l’Italie de la Renaissance, donnez-moi la fille ! D’une grande beauté, très intelligente et protectrice des arts, Lucrèce Borgia est une femme de pouvoir, dont le nom est pourtant associé à l’adultère, l’inceste, la violence et le crime. Une légende noire véhiculée par les ennemis de la famille, les chroniqueurs et Victor Hugo, dont la pièce, captée à l’Abbaye de Villers-la-Ville, est diffusée vendredi sur La Une.
Née en 1480, Lucrèce est la fille illégitime du cardinal Rodrigue Borgia (dont la famille est originaire d’Espagne) et de sa maîtresse Vanozza Cattanei. Elle reçoit une excellente éducation au sein du couvent dominicain San Sisto de Rome. Elle y étudie les langues, la musique, le dessin et la philosophie, avant de rejoindre son père, devenu le pape Alexandre VI. La maison pontificale ayant les mêmes préoccupations que les autres maisons princières de l’époque, «de spectatrice des luttes d’influence et de pouvoir, elle devient protagoniste des ambitions de son clan et un atout dans le jeu politique de son père», écrit Olivier Tosseri dans «Lucrèce Borgia, l’innocente fille du pape» (Historia).
Mariée à 13 ans
Ainsi, à l’âge de 13 ans, la jeune fille se voit contrainte d’épouser Giovanni Sforza, dont la famille règne sur le duché de Milan. Le mariage n’est pas heureux et, entre-temps, les intérêts politiques du Vatican ont évolué. Prétextant la non-consommation de l’union, Alexandre VI fait annuler le mariage et oblige l’époux éconduit à faire aveu d’impuissance.
Alors qu’à peine quatre mois plus tard, Lucrèce accouche d’un garçon (dont le père est tué par César Borgia et jeté dans le Tibre), Sforza, vexé, fait courir le bruit de rapports incestueux entre son ex-épouse, son frère et même son père ! Quoi qu’il en soit, le Pape a alors le champ libre pour proposer sa fille à Alphonse d’Aragon, fils du roi de Naples. En 1498, Lucrèce dit oui à ce nouvel époux, jeune, intelligent et surtout beau comme un dieu. Mais le bonheur est de courte durée : deux ans plus tard, après un énième retournement politique, ce mari napolitain, devenu un handicap pour le Pape désormais allié à la France, est la cible d’un double attentat, orchestré par César Borgia.
Mécène à Ferrare
Divorcée et veuve, la princesse, lassée des intrigues de sa famille, souhaite quitter le Vatican. Alors, quand, en 1501, son père lui propose un troisième mariage avec Alphonse d’Este, duc de Ferrare, elle accepte, voyant peut-être dans cette nouvelle union une occasion inespérée d’enfin s’éloigner de Rome et de l’emprise paternelle. Dans son duché du nord de l’Italie, la duchesse de Ferrare entame une nouvelle vie et peut enfin consacrer tout son temps à sa passion, les arts. Elle accueille à sa cour de grands talents de la Renaissance – notamment des poètes et des peintres – et fait de Ferrare l’un des grands centres artistiques d’Europe.
En 1519, au terme d’une neuvième grossesse, Lucrèce meurt, à 39 ans, d’une septicémie. Après avoir été la première victime de l’univers impitoyable des Borgia, elle est décriée par la postérité qui retient d’elle l’image d’une femme machiavélique, dépravée et criminelle. Pourtant, aujourd’hui, les historiens tentent de redorer le blason de cette princesse, désormais vue comme l’une des plus érudites et des plus humanistes de son temps, qui a fait rayonner le duché de Ferrare durant la moitié de sa vie.
Cet article est paru dans le Télépro du 21/9/2023
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