L’oreille musicale des maestros sourds

La perte de l’audition ne signifie pas nécessairement celle de la créativité sonore. Michel Cymes se penche sur le sujet, vendredi à 22h25 dans «La Médecine de l’art» sur France 5.

Donnez le nom d’un compositeur sourd ? À coup sûr, celui de Beethoven est cité ! Le maestro allemand n’est pourtant pas le seul exemple. Le magazine de Michel Cymes «La Médecine de l’art» s’intéresse à l’impact des troubles de l’audition sur la création artistique. Ravel, Chostakovitch, Smetana… : la liste s’allonge. L’histoire de chacun de ces artistes apporte son témoignage à cette enquête passionnante.

Ludwig songe au suicide

Ludwig van Beethoven n’a que 30 ans lorsque les premiers signes de surdité se manifestent. Le plus notable survient en 1802. Depuis quelques temps, le compositeur souffre de violentes douleurs aux oreilles. Se promenant avec son ami, élève et secrétaire, Ferdinand Ries, il n’entend pas un musicien qui joue de la flûte dans la campagne. Cette déficience le plonge dans un tel désarroi qu’il révèle plus tard, dans son «Testament de Heiligenstadt», avoir été tenté par le suicide.

Le cri silencieux du public

Sur l’origine de sa perte d’ouïe, les avis divergent. Une théorie semble tenir la corde. Le site LvBeethoven.com retient celle du docteur Marage. Après avoir compulsé l’abondante correspondance du compositeur, le scientifique conclut que le maître souffrait d’une lésion de l’oreille interne. Il établit la chronologie suivante : des bourdonnements et acouphènes se font entendre dès 1796. Beethoven a 26 ans. La surdité commence en 1798. En 1801, il a perdu 60 % de son ouïe et, en 1816, la surdité est totale.

Lors de la première prestation de sa IXe symphonie, à Vienne, en 1824, Beethoven n’entend pas les acclamations du public auquel il tourne le dos. Une jeune cantatrice doit le prendre par les épaules et l’inviter à se retourner pour qu’il profite de son triomphe…

Voir la musique

L’influence de son handicap sur ses compositions se manifeste de différentes façons. Selon une étude de l’université d’Amsterdam, publiée dans le British Medical Journal : «L’évolution du déficit auditif s’est traduite dans les partitions du compositeur par une moindre utilisation des notes aiguës». La raison est simple : il percevait mieux les sons médium et graves. «Une fois privé de tout son extérieur, il est revenu à son monde musical intérieur» : le musicien conçoit tout dans sa tête avant de retranscrire sur une partition.

Tenir une baguette de bois en bouche et appuyer l’autre extrémité sur le meuble du piano est une de ses techniques pour continuer à «écouter» sa musique. Il pallie aussi son trouble auditif par la vision : regarder les musiciens et les chanteurs lui permet de compenser sa surdité. Laquelle ne l’empêche pas d’écrire d’innombrables chefs-d’œuvre.

Prisonnier du cerveau

Surnommé par certains «l’autre grand sourd», le compositeur tchèque Bedøich Smetana décrit ainsi sa maladie : «La plus grande gêne vient du bruit intérieur quasi permanent qui résonne dans ma tête et devient parfois un vacarme insupportable». Le Russe Dmitri Chostakovitch n’a pas eu à déplorer la perte de l’audition mais un accident a profondément influencé son inspiration. Lors du siège de Stalingrad durant la Seconde Guerre, un éclat d’obus l’atteint à la tête. Selon certains biographes, le projectile a touché certaines zones du cerveau, provoquant des hallucinations auditives, retranscrites ensuite sur des partitions par Chostakovitch.

Pour Maurice Ravel, les choses sont différentes. Une maladie cérébrale dégénérative l’empêche d’écrire, de s’exprimer et se mouvoir normalement. Un drame dont le magazine Cerveau & psycho résume l’ampleur en quelques mots : «Il avait intérieurement composé un opéra entier qu’il était incapable de mettre par écrit, et qui resta à jamais enfermé dans son cerveau…».

Cet article est paru dans le magazine Télépro du 7/1/2021