Littérature : «La Princesse de Clèves» fait toujours débat

Vendredi, Arte propose le téléfilm «Clèves», adaptation du roman éponyme de Marie Darrieussecq qui se veut «une lecture inversée» de «La Princesse de Clèves» © Arte/Claire Nicol

Madame de La Fayette n’aura jamais su que son œuvre passerait à la postérité, ébranlée par une polémique jamais éteinte. Ce vendredi à 20h55, Arte diffuse le téléfilm «Clèves».

Marie-Madeleine de la Vergne (1634-1693) vit à Paris non loin du jardin du Luxembourg quand son père décède. Sa mère se remarie bien vite avec Renaud de Sévigné, oncle de la célébrissime marquise de Sévigné dont Marie-Madeleine se fera une amie fidèle.

L’ami La Rochefoucauld

Elle a 21 ans lorsqu’elle épouse le comte de La Fayette, dont la lignée s’illustre un siècle plus tard, notamment dans la conquête de l’indépendance des États-Unis. Mariage sans doute plus de raison que d’amour car le comte opte plutôt pour la campagne et l’Auvergne, que déteste sa femme. Et c’est ainsi que libre de ses mouvements, elle rencontre La Rochefoucauld avec lequel elle se lie d’une amitié indéfectible, sans que l’on sache si elle va au-delà ! Mais grâce à lui, elle put rencontrer Racine, Corneille et le poète Boileau, les incontournables tenants de la littérature et de l’art dramatique de l’époque.

Quelle fut l’intervention de La Rochefoucauld dans l’écriture de «La Princesse de Clèves», le chef-d’œuvre de Madame de La Fayette ? La question fait toujours débat. La vanité n’est certes pas un défaut que Marie-Madeleine cultive. La propriété et la protection des œuvres n’animent pas encore le débat juridique et on ignore toujours si les écrits qui lui sont attribués sont bien de sa main. Madame de La Fayette entretient elle-même le suspense puisque un mois avant la parution de «La Princesse de Clèves», elle nie catégoriquement en être l’auteur.

Alors, le roman porterait-il la signature anonyme de Segrais, un familier de La Rochefoucauld, auteur reconnu du discours préliminaire des «Réflexions» ? En tout cas, les lecteurs contemporains en sont convaincus. Segrais est sans doute intervenu dans les deux premiers livres de Madame de La Fayette. Mais en y apportant des corrections de style ou simplement en servant d’intermédiaire pour assurer sa publication ? Le mystère demeure entier, même si Segrais jure ses grands dieux qu’il n’y est pour rien.

Le premier roman moderne

Quoi qu’il en soit, «La Princesse de Clèves» est sans aucun doute un roman dans le sens moderne que nous lui donnons en appartenant à la toute nouvelle école littéraire qui voit le jour au XVIIe siècle. Il reçoit un accueil enthousiaste, notamment de la part de Madame de Sévigné. Mais la scène de l’aveu où la Princesse confesse à son mari son amour pour Monsieur de Nemours, laisse perplexe de nombreux critiques de l’époque qui l’estiment extravagante, voire totalement invraisemblable dans un siècle, faut-il le rappeler, encore très pudibond, du moins en apparence.

Lorsque La Rochefoucauld meurt en 1680, c’est encore Madame de Sévigné qui a ces mots forts : «Je pense que nulle passion ne peut surpasser la force d’une telle liaison.» Mais nul doute qu’ils s’influencent mutuellement. Le premier en donnant au roman cette concision sans mots inutiles, la seconde en nettoyant son contenu de toute trace de jansénisme que l’on retrouve chez La Rochefoucauld, pour lui préférer une certaine forme de libertinage associée à un tantinet de préciosité. D’ailleurs la romancière d’avouer : «M. de la Rochefoucauld m’a donné de l’esprit, mais j’ai réformé son cœur.»

Sans son ami dont la perte lui est inconsolable, Madame de La Fayette se cloître dans la solitude, en rompant avec toutes les brillantes relations qu’elle s’est forgées au cours des temps, non sans rédiger des écrits qui ne seront publiés à titre posthume que bien longtemps après la mort qui l’emporte le 25 mai 1693. Elle est alors à l’aube de ses 60 ans. 

Cet article est paru dans le Télépro du 2/6/2022

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