L’homme qui raccourcit le Rhin
L’ingénieur allemand Johann Gottfried Tulla en a fait un long fleuve tranquille. «Tulla, l’homme qui dompta le Rhin» est à voir sur Arte à 22h20.
Paris, cimetière de Montmartre. Quelques touristes, quelques curieux aussi, à la recherche des sépultures de personnages célèbres. Zola, Stendhal, François Truffaut, Dalida… Peu de monde devant le monument funéraire portant le nom de Jean Godefroy Tulla. Gravés sur la pierre tombale à côté de son nom et des dates 1770-1828, quelques mots : l’évocation de sa contribution à la correction du Rhin dans la région d’Altrip, en Allemagne. Inconnu au panthéon de nos «stars», cet ingénieur badois fut pourtant considéré comme une vedette dans son pays.
Un défi colossal
1817, Grand-duché de Bade, au sud-ouest de l’Allemagne. Dans les bureaux de la Haute direction des eaux et de la construction des routes, le directeur Johann Gottfried Tulla est penché sur des plans. L’ingénieur spécialisé en hydrologie a un sacré défi à relever ou plus exactement, un fleuve à redresser. De Bâle (Suisse) à Bingen am Rhein (Allemagne) en passant par l’Alsace (France), le Rhin supérieur n’en fait qu’à sa tête. Dans la plaine, il multiplie les méandres, les tours et les détours. En certains endroits, il compte une vingtaine de bras. Il sort de son lit, les inondations se succèdent. Large de près d’un kilomètre en temps normal, il peut en atteindre douze quand il déborde. Les champs sont dévastés, en Alsace notamment, des villages entiers sont rayés de la carte. Stopper les inondations, réduire les épidémies de paludisme en zones marécageuses : le challenge de Johann Gottfried Tulla est colossal.
Dompter le fleuve
Son plan, c’est de supprimer les méandres du fleuve et de limiter sa largeur à 200 mètres. «Y a plus qu’à», comme dirait l’autre. Mais sur plus de 300 kilomètres, bonjour l’angoisse. L’ingénieur de Karlsruhe l’ignore encore : soixante ans seront nécessaires pour atteindre l’objectif. Les travaux s’achèveront en 1876. Aujourd’hui, le Rhin supérieur est devenu un long fleuve tranquille, «un ruisseau» large de 250 mètres, bien droit et sage, protégé par des barrages. Avec la suppression des méandres, le Rhin supérieur a aussi perdu 81 kilomètres dans l’aventure. Tous ces travaux ne seront pas sans conséquence. La puissance des eaux ainsi canalisée va creuser le lit du fleuve et rendre la navigation impossible en certains endroits, d’où de nouveaux travaux. «Des dizaines d’espèces d’oiseaux et de poissons ont disparu», ajoute le site de France Bleu. Cela ne fera pas se retourner Johann Gottfried Tulla dans sa tombe du cimetière de Montmartre. Nommé officier de la Légion d’honneur française, il ne verra pas la fin des travaux qu’il a initiés, les villes, les ports, les échanges fluviaux que ceux-ci ont permis, les rues et les écoles qui portent aujourd’hui son nom. Ironie du sort, l’ingénieur allemand succombe en 1828 à l’un des ennemis qu’il combattait : le paludisme.
Cet article est paru dans le Télépro du 13 août 2020.
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